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CA du 17 nov. 2018 : compte rendu sommaire

En application de l’article 5 des statuts, le Conseil d’administration s’est réuni samedi 17 novembre 2018 afin de pourvoir au remplacement d’un de ses membres – vacance ouverte par le décès subit de Gérard Jorland.

A l’unanimité des présents et des membres représentés, Laurent Jaffro a été élu ; il accepte d’assurer la fonction de trésorier. Nous l’en remercions vivement.

Le Conseil a pris connaissance avec beaucoup d’émotion de de la lettre par laquelle Didier Deleule présente sa démission, pour raisons de santé, de la fonction de président. Catherine Kintzler, 1ere vice-présidente, assurera la présidence par intérim jusqu’à la prochaine AG.

Une AG extraordinaire des membres sociétaires sera convoquée le 19 janvier 2019 à 14h30 afin de procéder à l’élection définitive du nouveau membre du CA. Le CA se réunira à part de cette AG pour élire en son sein définitivement le nouveau trésorier ainsi qu’un nouveau président. Les mandats du CA et du bureau expireront comme prévu en 2022 (Article 5 des statuts).

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Forum SFP Congrès de la FISP (Pékin 2018)

La Société, représentée au XXIVe Congrès international de la FISP (Fédération internationale des Sociétés de philosophie) à Pékin en août 2018, y a organisé, sous la responsabilité d’Emmanuel Picavet, un forum intitulé « Les transformations de la responsabilité ».

FISP (Fédération internationale des sociétés de philosophie)
XXIVth World Congress of Philosophy, Pékin ; août 2018

Forum de la Société Française de Philosophie:
« Les transformations de la responsabilité »
19 août 2018

Voir la suite : argument, programme et résumés.

Forum « Les transformations de la responsabilité » (FISP Pékin 2018)

La Société, représentée au XXIVe Congrès international de la FISP (Fédération internationale des Sociétés de philosophie) à Pékin en août 2018, y a organisé, sous la responsabilité d’Emmanuel Picavet, un forum intitulé « Les transformations de la responsabilité ».

 

FISP (Fédération internationale des sociétés de philosophie)
XXIVth World Congress of Philosophy, Pékin ; août 2018

Forum de la Société Française de Philosophie:
« Les transformations de la responsabilité »
19 août 2018

 

Argumentaire

La notion de responsabilité est au cœur de nombreux développements contemporains dans les pratiques administratives, juridiques, économiques, etc. L’introduction récente en France d’une obligation de « vigilance » pour les entreprises et la mise en place d’une plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises peuvent l’illustrer. Les modèles dominants de la gouvernance des organisations, du gouvernement, de la régulation des systèmes sociaux ou technologiques complexes s’appuient sur des concepts variés de responsabilité qui posent un certain nombre de problèmes. Par exemple, les rapports à la morale et à l’obligation juridique respectivement s’articulent entre eux d’une manière souvent difficile à saisir. Le maniement des modèles et des normes qui prennent en charge les enjeux de responsabilité crée souvent de nouveaux défis pour la prise de responsabilité : c’est la problématique émergente du « risque de régulation ». La réflexion philosophique a un rôle à jouer pour éclairer ces questions. Le mouvement contemporain d’institutionnalisation d’une éthique de la responsabilité contribue d’ailleurs à renouveler des questions et des arguments philosophiques étudiés depuis très longtemps.

L’organisation de ce forum en Chine présente un intérêt particulier. Le processus d’adoption (avec adaptation) ou de rejet d’éléments de pensée(s) libérale(s) occidentale(s) dans le cadre chinois a des effets sur la compréhension de la responsabilité environnementale ou sociale. De ce fait, des échanges approfondis entre spécialistes travaillant sur plusieurs continents seront précieux pour l’examen du legs des traditions occidentales et orientales, pour la confrontation des évolutions conceptuelles et des défis de la pratique, pour l’effort de compréhension de la portée des travaux philosophiques sur la responsabilité et pour l’alliance des contributions des sciences juridiques, philosophiques et sociales.

Programmé à l’initiative de la Société Française de Philosophie, le forum prend place notamment dans la continuité du programme LIBEAC (www.libeac.org),  «Le libéralisme entre l’Europe et la Chine » et de certains travaux de la COMEST (Marie-Hélène Parizeau). Il permettra aussi d’approfondir des thèmes qui, au cours des dernières années, ont nourri des échanges et des projets entre les universités de Pékin (Tsinghua) et Nankin, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Centre de Philosophie Contemporaine de la Sorbonne dans l’UMR 8103, ISJPS), Aix-Marseille universités, la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (Chaire « Ethique et finance » du Collège d’Etudes Mondiales).

Programme

1. Les héritages et les transformations de la notion de responsabilité

(Pei Wang, E. Picavet)

9h30 – Pei Wang: La responsabilité et la société selon Lévinas

10h E. Picavet: Dimensions de la responsabilité dans les formes contemporaines de régulation, d’éthique institutionnalisée et de gouvernance.

10h30- Jean Devos

Pause

2. Les rapports entre philosophie et sciences sociales dans les progrès de l’analyse (Gilles Campagnolo, Francesco Di Iorio)

10h45- Gilles Campagnolo (directeur de recherches CNRS, France): Penser l’apprentissage de la responsabilité avec Karl Popper : la pertinence de l’apprentissage de la règle

11h15 – Francesco Di Iorio (professeur à l’université de Nankai, Chine): « Individualisme méthodologique, loi de Hume et responsabilité de l’agir ».

Pause

3. Les inflexions liées à l’articulation de la théorie et de la pratique

(Yao-Edmond Kouassi, Angela Palermo, Xia Ying)

11h30- Angela Palermo: responsabilité et prise en compte des modèles du probable

12H – Xia Ying: l’insertion du thème de la responsabilité dans la philosophie économique

12h30-13h Jacob Dahl Rendtorff : Responsabilité et l’éthique de l’environnement: Vers une responsabilité technologique, politique et économique pour un développement durable de la nature et de la société.

 

Résumés

Gilles Campagnolo

S’il est une figure de Karl Popper qui semble avoir échappé au commentaire, du moins en langue française, c’est celle de Popper pédagogue intéressé aux questions de l’apprentissage du côté du sujet et donc de la psychologie des apprenants, avant même de se tourner vers la logique de ce qui doit être appris.

Cette négligence du commentaire contribue à donner l’image d’un auteur dont la théorie est par ailleurs souvent (et à tort) réduite à son épistémologie « faillibiliste ». La face méconnue de Popper correspond paradoxalement à ses racines les plus originelles, la période « viennoise » de sa vie : son enfance et sa jeunesse, la période de formation et ce qui contribua à faire de l’auteur de la Logique de la découverte scientifique un penseur qui devait être autant attaqué que célébré.

En particulier, en contexte français, la traduction tardive de ses oeuvres, a eu cet pour effet une certaine réticence produisant à son tour un rejet ou une limitation de sa réception. Notre édition de ses textes de jeunesses (publiés à Vienne avant la Logik der Forschung), fondée sur un travail fouillé dans les archives de la Karl Popper Sammlung vient en quelque sorte clôturer, en la rectifiant de ce point de vue, un travail éditorial jusque-là encore partiel Ces premiers textes (prévus pour parution à l’automne 2018) sont relatifs aux questions de l’apprentissage, de l’expérience et de la mémoire, et tous liés mais non circonscrits à des questions pédagogiques.

Non seulement la théorie épistémologique de Popper n’est pas surgie soudain toute armée de son esprit, mais les éléments qui contribuèrent à la faire naître peuvent être tout à fait documentés sur pièce et les caractéristiques qu’ils présentent ne disparurent pas de l’oeuvre de Popper – au contraire, c’est cet accent initial qui, avec quelque inflexion, fut développé ensuite dans la direction que ses recherches devaient prendre, depuis la psychologie de la pédagogie jusqu’à la logique psychologique, à la logique des sciences et à l’épistémologie tout court. En retraçant ce parcours, nous soulignerons les caractères spécifiques de l’apprentissage de la règle dans la perspective de développer une analyse de la réception de la réglementation dans les questions relevant des sphères sociale et surtout économique – dont la sphère financière constitue alors un exemple étonnamment pur.

Angela Palermo

L’histoire des rapports entre logique juridique et logique probabiliste à l’époque moderne va bien au-delà de son histoire, et peut non seulement rentrer de plein droit dans un fécond débat philosophico-logique, mais aussi laisser entrevoir des horizons nouveaux sur l’homme et son langage, et offrir un point de départ original pour les études plus récentes s’intéressants à la question de la responsabilité dans le champ du droit et de la morale.

Il suffit de penser, par exemple, au débat des juristes-philosophes modernes sur le thème des éléments non-rationnels intervenant lors de la prise de décision du juge. Ce débat a ouvert des perspectives philosophiques vraiment intéressantes. Je me réfère, par exemple, à la conception de Hume. On peut considérer ce que dit Hume à propos de conflit raison-passions que les juristes-philosophes modernes ont cherché à limiter, sinon à effacer, à l’aide du calcul des probabilités.

Aujourd’hui on donne toujours plus d’importance au « coté émotionnel » et « sentimental » de la justice. Souvent on entend dire : « avoir le sentiment de justice ». Il y a quelques années il est sorti un livre très beau de Martha Nussbaum, « Upheavals of Thought. The Intelligence of Emotion » qui donne une très grande importance à la conscience humaine qui est faite de raison mais aussi d’émotion. De plus, selon Nussbaum, les conceptions émotionnelles de la justice peuvent être un antidote puissant aux aberrations des conceptions rationnels de la justice.

Ces questions très actuelles aujourd’hui rentrent dans l’ample problématique de la justification rationnelle du jugement de droit (l’interprétation des normes) et du jugement de fait (vérification de la vérité de circonstances concrètes), abordée par les juristes-philosophes du XVIIIe siècle.

En effet, les conceptions des juristes-philosophes modernes contredisent la position soutenue par les juristes contemporaines d’orientation analytique, en montrant que la sphère de la décision finale du juge implique évaluations, interprétations, normes extra-juridiques ; bref des choix de responsabilités et non seulement des choix de connaissance, donc des jugements de droit.

Cela conduit à devoir admettre qu’il existe une philosophie de la praxis, de l’action, à côté de la théorie du droit pure et simple. En conséquence, l’acceptation de cette nouveauté, oblige à penser à la possibilité d’une justification rationnelle de la décision obtenue par des moyens non déductifs sans pour autant être moins valables rationnellement. Cela ouvre sur la possibilité d’introduire dans le champ de la rationalité, un modèle de rationalité argumentative à côté des modèles mathématiques des probabilités.

Il faut donc traiter la question de la justification rationnelle comme un problème pratique plutôt que théorique pour arriver, en morale et en droit, au primat d’une philosophie de la responsabilité et de l’action.

Francesco Di Iorio

La responsabilité, c’est-à-dire le devoir de répondre de ses actes, ne peut pas exister sans la liberté du choix éthique. Comme l’a souligné, entre autres, Karl Popper, la loi de Hume est le fondement logique de cette liberté car elle interdit l’inférence d’un « être » à un « devoir-être ». L’individualisme méthodologique (IM) nous permet de défendre cette liberté d’un autre point de vue. En critiquant le déterminisme sociologique, il montre, que même si le fondationnalisme éthique est logiquement impossible, le choix éthique est produit par une évaluation explicable, comme l’a dit Raymond Boudon, en termes de « bonne raisons », c’est-à-dire d’une rationalité subjective, argumentative et non-cartésienne. L’IM nous montre aussi que le concept de responsabilité ne doit pas être analysé du seul point de vue de l’intentionnalité de l’agir. Comme l’a bien souligné Max Weber, le problème de l’émergence des conséquences non-intentionnelles de l’action, qui est central dans les explications en termes d’IM, est également fondamental. Selon l’IM, les sciences sociales doivent viser, entre autres, à montrer, d’un côté, les limites des bonnes intentions dues à la formation d’effets pervers et, de l’autre côté, la capacité de certaines actions, jugées mauvaises au premier regard, de produire de façon non-intentionnelle des conséquences positives. En liant la responsabilité de l’agir à l’étude des conséquences non-intentionnelles, l’IM contribue à rendre le choix éthico-politique mieux informé et plus efficace.

 

Hommage international à Kierkegaard

Hommage international
à Kierkegaard

Publication électronique des travaux du

Colloque organisé par la Société française de philosophie,
le samedi 30 novembre 2013
Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Textes réunis par Hélène Politis

(Voir les droits)

Sommaire

1 – Anne Baudart, L’atopie kierkegaardienne. [Télécharger].

2 – Peter Kemp, Ricœur entre Jaspers et Kierkegaard. [Télécharger].

3 – Gordon D. Marino, Le refus par Kierkegaard de l’auto-tromperie*. [Télécharger].

4 – Ingrid Basso, Entre l’Être et le Néant : la « méontologie » de Schelling interprétée par Kierkegaard*. [Télécharger].

5 – Alvaro L. M. Valls, Kierkegaard « presque au bout du monde » : les études kierkegaardiennes au Brésil. [Télécharger].

6 – Jon Stewart, Le statut de l’écriture dans la critique kierkegaardienne de la philosophie allemande. [Télécharger].

7 – Hélène Politis, Le sourire de Kierkegaard. [Télécharger].

8 – Didier Deleule, Conclusion. [Télécharger].

 

Ce colloque international a été précédé, en 2012-2013, par l’atelier Kierkegaard (animé par Anne Baudart et Hélène Politis) dont l’intégralité des travaux est publiée sur le site des Ateliers de la SFP.

————-

* Traduction par Hélène Bouchilloux, Cécile Loisel, Hélène Politis et Éric Pons.

n°2018 112 1Un humanisme inabouti. Une piste perdue, le repérage de la conscience de soi en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle. Karl-Philipp Moritz

Séance du 20 janvier 2018
Exposé : Georges-Arthur Goldschmidt
Discussion : Bernard Bourgeois, Chantal Clouard, Sylvie Coirault-Neuburger, Didier Deleule, Guillaume D’Enfert, Catherine Kintzler, Brigitte Lalvée, Hélène Politis, Joël Wilfert.
Voir le résumé et la photo à la rubrique Conférences.
Édité par Vrin.

A la mémoire de Gérard Jorland, par Anne Baudart

Gérard Jorland, notre trésorier et notre ami, est décédé le 22 août 2018. Anne Baudart a lu le texte suivant lors des obsèques au crématorium du cimetière du Père Lachaise à Paris le 28 août. A l’issue de la cérémonie, elle a écrit un second texte, dédié à la mère de Gérard, Diane Jorland – c’est avec une grande émotion que nous le mettons aussi en ligne, en remerciant Diane Jorland de nous y autoriser.

Gérard Jorland

Gérard Jorland
Gérard Jorland

Au nom de la Société française de philosophie (SFP), de son président en exercice, Didier Deleule, de son président d’honneur, Bernard Bourgeois, des membres de son Bureau, présents aujourd’hui ou de cœur avec nous, des philosophes composant notre institution nationale, nous voudrions, Gérard, te rendre l’hommage qui convient.

L’annonce de ton décès brutal, en cette fin d’août, dans un Paris inhabituel, a fait sur nous l’effet d’un séisme dans l’ordre de l’amitié qui nous unit à toi.

Trésorier en titre de la Société française de philosophie en 2014, après avoir exercé, sous la présidence de Didier Deleule, les fonctions de trésorier adjoint aux côtés d’Emmanuel Picavet, tu remplissais ces fonctions avec efficacité, justesse, célérité et, j’ajouterais, jovialité. Tu n’avais rien du financier empesé, jaloux de ses prérogatives, et semblais même te jouer, avec une aisance légère, des chiffres, fichiers et courriers techniques et complexes, ce qui aurait pu nous rendre comme jaloux !

Apprécié professionnellement de nous tous, qui nous reposions avec confiance sur toi, tu savais, de plus, insuffler à notre Bureau l’énergie vitale et organisationnelle dont il avait parfois besoin, comme toute institution humaine devant faire face à des complexités de plus en plus grandes. Tu ne manifestais jamais de réaction de faiblesse, de complaisance dans un état passif, mais, au contraire, tu dispensais un courage généreux, désireux de servir jusqu’au bout les intérêts intellectuels et les projets, jugés parfois par nous étonnamment ambitieux, comme l’organisation à constituer et promouvoir du prochain Congrès international de 2020. Était-ce, pour toi, manière de lutter contre l’échéance vitale que tu savais tienne depuis des mois ? Non pas ! C’était seulement ta manière d’adhérer tout simplement aux exigences pressantes, impérieuses, de la vie de l’esprit, ta manière de l’honorer et de nous inviter à te suivre sur cette voie d’un infatigable combat pour faire advenir un rayonnement philosophique digne du nouveau siècle qui s’ouvrait pour notre Société, créée en 1901.

Nous rendons hommage tout naturellement à ton travail précis au sein du Bureau, comme à ta personnalité intellectuelle et scientifique d’envergure, scellée dans tes diverses publications. Jusqu’au bout, tu as œuvré à ton prochain ouvrage sur la vision et j’aimais, pour ma part, comme inlassablement, t’entendre me décrire ton émerveillement devant l’art des vitraux dans les cathédrales du Moyen Âge.

Scientifique et esthète, tu l’étais. Philosophe exigeant, goûtant peu les compromissions politiques, déjouant avec une lucidité sans pareille les jeux de pouvoir, vite ridicules et illusoires, refusant les abandons de la pensée critique comme les peurs ambiantes, notamment celles relatives à l’acte de juger, tout simplement, tu invitais, sans relâche, à avancer. Cela, dans une volonté de dépassement des limites, les tiennes propres d’abord, celle du corps, qui force, aujourd’hui, le respect. Jusqu’au bout, je t’ai entendu exhorter à « continuer le combat » de la pensée, de l’étude et de la vie.

Aussi est-ce aujourd’hui l’Ami, le frère en humanité, attentif aux autres, étonnamment discret et pudique, le philosophe chercheur, que nous honorons. Il y a un mois, le décès de Jeanne, ton épouse, avait tracé le chemin tragique de la séparation au sein de ta famille, unie et soudée. Depuis, tu ne cessais de dire : « Je pleure et je travaille, je travaille et je pleure ». Ce furent tes maîtres mots du mois d’août, lors de nos brèves conversations téléphoniques, quand les assauts du corps te permettaient l’échange que tu disais tellement désirer.

Les mots, nous le savons tous ici, par métier ou expérience, survolent ou contournent l’essentiel, par peur, sans doute, de l’éroder. Ils disent et ne disent pas, mais ils sont signes du lien fort qui nous unit à toi.

Ils tentent d’exprimer, pour la première et la dernière fois, un hommage public à l’Ami, au Collègue, au Père, au Frère, mais aussi au Fils, une affection taillée dans le respect envers le témoignage de grande et belle humanité que tu nous a légué pendant près d’une décennie.

Permets-moi de clore sur une note personnelle qui renvoie à nos échanges sans fin sur les vertus pérennes, célébrées par nos Anciens Grecs.

Dans le sillage socratique, Marc Aurèle, comme Diogène, aimait rappeler que tous les hommes sont « frères », de même race, porteurs du divin en eux-mêmes, quel que soit le nom revêtu par lui. Ils se savaient participer à une œuvre commune, dont ils s’évaluaient un maillon faible et fort à la fois. L’universalisme de bienveillance et de bienfaisance était à jamais fondé dans le paganisme antique.

Permets-moi de te dire que tu pouvais être vu comme un maillon marquant et inaltéré de cette chaîne universelle nommée humanité en qui un philosophe moderne a su voir et définir la plus belle dignité.

Anne Baudart, 28 août 2018

Diane Jorland

Il est des êtres que le grand âge n’altère pas, mais grandit et embellit. Comme s’il opérait un lissage des traits inutiles, fugaces, voués seulement à plaire un temps, puis à se dissoudre lentement ou brutalement.

La luminosité de Diane Jorland, la maman de Gérard, en témoigne. Droiture élégante de la posture du corps, agilité mentale, générosité et justesse du propos verbal, son regard et ses dires percent comme l’au-delà du temps où son fils l’a précédée et l’accueillera.

À l’écoute des deux hommages rendus à Gérard, l’un émanant d’un de ses trois autres fils, poète et savant à la fois, l’autre, d’une Société française de philosophie, riche d’un héritage plus que centenaire, la maman partageait l’essence et les effluves des discours, y participait même, avec une pudeur amusée et affectueuse, par des hochements de la tête, des murmures d’aveux et d’acquiescements chaleureux. Ses encouragements furent notre force, à Patrice Jorland et à moi. Ils forçaient l’admiration et traversaient la Tristesse.

De la cérémonie funéraire, je garde mémoire vive de cette belle et unique figure qui tient du réel et du prodige d’une nature pourvoyeuse de dons sublimes.

La mémoire de Gérard était le centre vivant d’un rite funéraire qui, grâce à Diane, s’accompagnait de quelque chose que j’oserais nommer Joie, dans un environnement dédié à son contraire. Beauté contagieuse d’un Bien lové au cœur de créatures inattendues et prometteuses. Diane Jorland appartient à cette race humaine que le malheur extrême n’abat pas, qui œuvre à la Transfiguration du négatif, dans une discrétion lumineuse, parce que généreuse.

La maman transmet la mémoire vivante du Fils Disparu que nous voulions honorer, chacun, à notre manière. Elle a su rassembler, fédérer nos silences, donner le sens qui convient à nos détresses, à nos attentes, comme à nos questionnements, nos abattements.

Qu’elle soit, par ses proches, remerciée et choyée. Elle a été, pour nous tous, une leçon vibrante de courage et de paix que Gérard a su nous léguer comme ULTIMA VERBA, ce 28 août 2018, à Paris.

Anne Baudart, 29 août 2018

Karl Marx et la dialectique des émancipations (par Henri Pena-Ruiz)

Conférence du 26 mai 2018 par Henri Pena-Ruiz
professeur honoraire de Première supérieure (khâgne), maître de conférences à l’IEP de Paris

À la mémoire d’André Tosel

À la fin de sa vie, précaire et brève (65 ans), Marx déclare ne pas être marxiste. Il s’en prend ainsi au dogmatisme naissant de certains de ses disciples zélés. Une telle remarque n’a rien d’anecdotique, car elle est en phase avec toute l’œuvre de Marx, tant sur le plan de la méthode que sur celui de la définition du projet de refondation économique sociale, et politique.

Henri Pena-Ruiz

Nulle définition de la société idéale, nulle conception dogmatique et téléologique de la révolution, nulle programmation des modalités de collectivisation des moyens de production ne sont dictées. Marx écrit que le communisme n’est pas un état idéal tout fait à substituer à la société actuelle, mais le mouvement même de transformation de la société (L’Idéologie Allemande). Il écarte ainsi toute approche totalitaire qui prétend substituer au lieu de faire advenir. À Vera Zassoulitch qui lui demande si le mir, propriété communale traditionnelle russe, pourrait être conservé et assumé par la révolution communiste, il répond affirmativement.

Si Marx insiste sur la dialectique des émancipations ce n’est pas pour disqualifier la définition juridique des droits de l’homme, mais pour montrer les limites de tout registre d’émancipation séparé, quand son formalisme vire à l’hypocrisie. La liberté d’un chômeur en fin de droits est nulle au regard du contrat de travail proposé-imposé.

Penseur du premier âge du capitalisme dépourvu de lois sociales, Marx l’est par là même du troisième âge, qui se rêve comme celui de la dérégulation générale, marquée par l’externalisation des coûts écologiques, humains, et sociaux de la frénésie de profit et de compétitivité. Une dérégulation préoccupante au regard du réchauffement climatique et de l’épuisement des ressources naturelles mais aussi d’une humanité minée par des écarts de fortune abyssaux, du fait d’un système « qui produit la richesse en créant la misère » (Victor Hugo in Melancholia, Les Contemplations).

Premier penseur écologiste, Marx ose écrire que le communisme est un naturalisme achevé (Manuscrits de 1844). Dans Le Capital il souligne que le capitalisme épuise la terre en même temps que le travailleur. Et s’il juge la sylviculture exemplaire, c’est parce que le respect des rythmes naturels y est incontournable, donc incompatible avec la soif de profit immédiat qui régit la propriété privée des moyens de production. Rien à voir, donc, avec le productivisme inhumain du stalinisme avec ou sans Staline (le désastre de la Mer d’Aral, l’imposture Lyssenko, le mythe stakhanoviste, l’irresponsabilité de la construction de Tchernobyl). Quant à l’appropriation collective des moyens de production, Marx la conçoit comme une libre association de producteurs et non comme le diktat d’un « Gosplan » de technocrates dotés des privilèges d’un Etat-Parti.

Pour saisir véritablement la pensée de Marx il faut bien sûr cesser d’ignorer son œuvre réelle en croyant s’en faire une idée à partir de sa caricature stalinienne. La sempiternelle objection qui lui est adressée en raison d’un tel amalgame ne mérite sans doute pas plus de crédit que celui qu’accordent les chrétiens à l’invalidation du christianisme par l’invocation des bûchers de l’Inquisition. Confondre a priori n’est pas penser. On sait que l’idéologie dominante, celle du néo-libéralisme, se meut dans une herméneutique discriminatoire, qui restaure le supplément d’âme d’un monde sans âme, la charité en lieu et place de la solidarité redistributive, la fatalisation du monde comme il va, et qui serait un horizon indépassable. « There is no alternative » (Margaret Thatcher).

En montrant que le libre-échange consacre des rapports de forces qui souvent vident de leur sens les conquêtes du droit, Marx s’est fait visionnaire de la mondialisation capitaliste, pudiquement rebaptisée mondialisation néo-libérale (Discours sur le libre- échange). Il nous aide ainsi, par-delà les caricatures de son projet d’émancipation, à ne pas être dupes.

Séance publiée Bulletin 2018 112 3

n°2017 111 4« S’assimiler à Dieu dans la mesure du possible » (Théétète 176b) : un impératif platonicien dans son interprétation en philosophie islamique

Séance du 18 novembre 2017
Exposé : Christian Jambet
Discussion : Anne Baudart, Bernard Bourgeois, Alain Chauve, Didier Deleule, Alexandre Foucher, Hervé Fradet, Hélène Politis.
Voir le résumé et la photo à la rubrique Conférences.
Édité par Vrin.

Programme des conférences 2018-2019

Programme des conférences régulières pour 2018-2019

  • 17 novembre 2018 : « Éditer Descartes aujourd’hui », à l’occasion de la parution des Méditations, Objections et Réponses (Œuvres complètes, vol. IV-1 et 2), édition dirigée par Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner, Paris, Tel-Gallimard, octobre 2018. Avec la participation de Michelle Beyssade, Frédéric de Buzon, Denis Kambouchner et Emanuela Scribano. Tomes I et IV : œuvres de jeunesse et Méditations Métaphysiques. Voir argument  sur l’Agenda.
  • 19 janvier 2019 : « Le monde : impératif ou donné ? » par Michaël Fœssel, professeur à l’École polytechnique. Voir argument sur l’Agenda.
  • 16 mars 2019 : Philippe Hamou. Voir argument sur l’Agenda.
  • 25 mai 2019 : Annie Ibrahim « Matérialisme et métaphysique: Diderot, Maupertuis, Dom Deschamps ». Voir l’Agenda.