Déclarations et hommages

Pour Dominique Bernard : déclaration de la Société française de philosophie

La Société française de philosophie se joint à une émotion partagée bien au-delà du monde de l’école, devant le meurtre de Dominique Bernard, professeur de lettres, survenu le vendredi 13 octobre, au cours d’une attaque qui a également blessé un professeur et un agent technique du lycée Gambetta d’Arras.

Nous écrivions lors de l’assassinat, voici juste trois ans, de Samuel Paty, exemple du « professeur d’histoire » que recherchait le jeune terroriste d’Arras :

La Société française de philosophie s’alarme des menaces que fait peser sur la liberté de l’enseignement la culture de la haine et de l’intimidation qui s’étend toujours davantage sur les réseaux sociaux.
Elle exprime son soutien à tous les collègues qui, en particulier au collège et au lycée, luttent quotidiennement, pied à pied, contre les forces de l’obscurantisme. Il est essentiel qu’ils puissent compter dans cette lutte sur une aide et un appui sans faille de leur hiérarchie.
Elle prendra sa part de la même lutte par tous les moyens à sa disposition.

Nous réitérons ces mots et cet engagement, dans un contexte qui s’est encore alourdi et qui exigera toujours davantage des philosophes comme de tous.

17 octobre 2023

Communiqué Proche-Orient

Communiqué du bureau de la Société française de philosophie du 12 octobre 2023

Les innommables atrocités et prises d’otages perpétrées par le Hamas en territoire israélien dans la journée du 7 octobre 2023 sont d’ores et déjà à inscrire au nombre des pages les plus sombres de l’histoire contemporaine.

L’engrenage de la haine, amorcé de fort longue date avec de lourdes raisons historiques, a franchi un nouveau palier. Il se nourrira de toute action multipliant les victimes et aggravant la situation des populations civiles. Ses répercussions sont à craindre partout, jusque sur les campus universitaires.

La Société française de philosophie invite les membres de la collectivité académique à prendre la mesure de cette situation. Elle rappelle, s’il en était besoin, qu’aucune stratégie, aucun but politique ou autre ne peut justifier les atrocités commises et l’usage de la terreur. Attachée aux principes et aux idéaux de dialogue rationnel, d’égalité entre les personnes et de respect du droit, elle forme des vœux pour que les organisations internationales, les responsables politiques et les démocrates de toutes nations réussissent ensemble à faire reculer les doctrines mortifères, à mettre un terme à la spirale de l’horreur et à dessiner un avenir pour toutes les populations concernées.

Communiqué de soutien Ukraine

Communiqué trilingue. Publié sur le site « Philosophers for Ukraine » en français et en anglais.

Le Bureau de la Société française de philosophie exprime toute sa solidarité et son soutien aux collègues et aux citoyens d’Ukraine face à l’injustifiable guerre d’agression conduite par la Fédération de Russie depuis le 24 février 2022. La poursuite de cette guerre déjà terrible par le bilan humain, les destructions et les déplacements de populations qu’elle a engendrés fait peser chaque jour des menaces plus graves sur l’avenir de l’Ukraine et de sa région, sur l’ordre international et sur la paix du monde.

Le Bureau rend hommage aux 664 chercheurs russes qui ont signé l’appel du 25 février contre la guerre et au courage de tous ceux  qui, en Russie, ont manifesté et maintiennent leur protestation.

La philosophie nous apprend à faire la différence entre le droit et la force, le savoir et la propagande, la vérité et ses simulacres, la liberté et la servitude, la paix et le silence de la terreur. Elle invite les politiques à ne pas perdre, en même temps que le souci de la vérité et de la responsabilité devant les autres, le contact avec la réalité, sans lequel aucune action pour le bien collectif n’est possible.

 

Merci au traducteur ami qui nous a offert la traduction suivante en ukrainien.

Бюро Французького філософського товариства висловлює повну солідарність і підтримку колегам і громадянам України перед обличчям невиправданої загарбницької війни, яку Російська Федерація веде з 24 лютого 2022 року. Продовження цієї війни вже страшне з точки зору людські жертви, знищення та переміщення населення, які він спричинив, з кожним днем ​​становлять все більш серйозні загрози для майбутнього України та її регіону, міжнародного порядку та миру у всьому світі.

Офіс віддає шану 664 російським дослідникам, які підписали заклик проти війни 25 лютого, і мужності всіх тих, хто в Росії демонстрував і підтримував свій протест.

Філософія вчить нас розрізняти право і силу, знання і пропаганду, правду і її симулякри, свободу і рабство, мир і тишу терору. Він закликає політиків не втрачати, водночас із турботою про правду та відповідальністю перед іншими, контакту з реальністю, без якої неможлива жодна діяльність для колективного блага.

 

The board of the Société française de philosophie expresses its full solidarity and support to the colleagues and citizens of Ukraine in the face of the unjustifiable war of aggression led by the Russian Federation since February 24, 2022. The continuation of this war, already terrible in terms of casualties, destruction and displacement of populations that it has caused, every day poses more serious threats to the future of Ukraine and its region, to the international order and to world peace.

The board pays respects to the 664 Russian researchers who signed the February 25 appeal against the war and to the courage of all those in Russia who demonstrated and maintained their protest.

Philosophy teaches us to make the difference between right and force, knowledge and propaganda, truth and its simulacra, freedom and servitude, peace and the silence of terror. It invites politicians not to lose, along with the concern for truth and responsibility before others, contact with reality, without which no action for the collective good is possible.

Paris, 7 mars 2022

Sur la réforme du CAPES 2021

La Société française de philosophie a fait état de ses inquiétudes dès 2019 au sujet du projet de réforme du CAPES (voir le communiqué de 2019).

Le 29 janvier 2021 a été publié au Journal officiel le texte de l’arrêté du 25 janvier 2021 réformant le CAPES. Se joignant à de nombreuses associations de professeurs et à de nombreuses sociétés savantes, la Société française de philosophie a signé le texte ci-dessous.

Texte de la Conférence des Associations de professeurs spécialistes sur la réforme du CAPES
février 2021

Cette tribune est également publiée sur le site du Journal du Dimanche – JDD (12 février 2021.)

Le ministère de l’Éducation nationale vient de publier un arrêté1 réformant, pour la troisième fois en une dizaine d’années, le recrutement et la formation des professeurs de collèges et lycées. S’il est bien des constats communs à tous les formateurs dans nombre de matières, c’est l’actuelle faiblesse de beaucoup de candidats dans les connaissances académiques et la perte d’attractivité des métiers d’enseignement. Cette réforme y répond-elle ? Assurément pas. Les universités et les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspe), en charge de la formation des futurs enseignants et de la préparation des concours des CAPES et CAPET, sont sommés d’improviser des maquettes applicables dès la rentrée de septembre 2021. Cette précipitation reflète un constat lourd de conséquences : celui du refus ministériel de discuter sereinement d’une réforme majeure pour l’avenir de la jeunesse et du système éducatif, donc pour la société tout entière.

Deux nouveautés sont particulièrement inquiétantes, dans les épreuves des CAPES et CAPET et dans l’organisation des deux années de master MEEF qui préparent à ce concours. Une épreuve orale à fort coefficient consistera désormais en un entretien de motivation non disciplinaire, qui aboutira sans doute à la récitation mécanique et creuse d’une leçon de morale civique, réduisant d’autant la possibilité d’évaluer les connaissances que le futur professeur devra transmettre à ses élèves, et ce dans l’ensemble des disciplines qu’il devra enseigner. Par ailleurs, dans la nouvelle organisation du master, les étudiants devront, au cours de la deuxième année, cumuler la préparation du concours, la rédaction d’un mémoire de recherche, et un stage très lourd devant plusieurs classes, alors que jusqu’à présent ce stage s’effectuait une fois le concours obtenu, laissant à l’enseignant en formation le temps et la disponibilité pour apprendre véritablement le métier. Cela offrirait au ministère de gros bataillons de stagiaires scandaleusement sous-payés – peut-être est-ce là la vraie raison, purement comptable, de cette réforme – mais mettrait devant les élèves des enseignants dont le niveau disciplinaire n’aurait pas encore été évalué, et dont la charge de travail rendrait impossible l’investissement nécessaire dans la préparation des cours et l’apprentissage du difficile métier d’enseignant. Les premières victimes en seraient les élèves et les jeunes enseignants, sacrifiés sur l’autel de la rigueur budgétaire.

Ne nous y trompons pas : ces changements, qui peuvent apparaître techniques, mineront en profondeur la qualité de l’enseignement qui sera offert aux futures générations. Les professeurs n’exercent pas un métier comme les autres : ils forment les adultes et les citoyens de demain. Ils sont porteurs d’un savoir qu’ils transmettent à leurs élèves, souvent avec passion, et ce savoir doit plus que jamais être défendu comme une valeur centrale de l’enseignement, à l’heure où il est menacé de toutes parts par des « vérités alternatives » portées par des groupes et des individus prêts à les imposer par la violence et même le crime. Ce savoir ne s’oppose pas à l’apprentissage de la didactique, mais est au contraire le socle indispensable d’une pédagogie solide qui permet au professeur de transmettre les connaissances et de former à l’esprit critique les futurs citoyens. Affaiblir le premier au prétexte de renforcer le second, au nom d’une professionnalisation mal pensée, prétexte depuis si longtemps à tous les mauvais coups portés à la formation des enseignants, est une absurdité qui ne conduira qu’à affaiblir cet équilibre nécessaire.

Quels professeurs voulons-nous pour les générations de demain ? Des techniciens de l’enseignement, formés et évalués suivant un système de compétences transdisciplinaires qui tendent à se substituer aux contenus et méthodes de nos disciplines, immédiatement employables et à qui l’on demandera simplement de restituer un savoir officiel, dûment contrôlé ? Ou des professeurs maîtrisant pleinement leurs savoirs et capables à partir de là de construire une pédagogie adaptée à leurs élèves ? En amputant drastiquement la part de contrôle des connaissances dans les épreuves du CAPES et du CAPET, en réduisant la formation disciplinaire des futurs enseignants, en sacrifiant leur année de stage pour faire des économies budgétaires, le ministère a fait un choix lourd de conséquences, qui n’a pas fait l’objet d’un débat public contradictoire. L’enjeu est aussi celui de l’attractivité du métier d’enseignant pour les étudiants, du rôle de l’Université dans la formation des maîtres et celui de la revalorisation symbolique et matérielle des professeurs. Recruter au rabais, qu’est-ce promettre à la jeunesse ?

C’est pourquoi nous demandons que cette réforme mal préparée soit reportée et qu’une nouvelle version des arrêtés soit précédée d’une authentique concertation avec tous les acteurs du secteur éducatif, et non imposée à la va-vite dans le contexte de crise sanitaire actuel.

Signataires :

Association des Formateurs des Professeurs de SVT (AFPSVT)
Association Française d’Etudes Américaines
Association française de sociologie (AFS)
Association des germanistes de l’enseignement supérieur (AGES)
Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche (AHCESR)
Association des historiens modernistes des universités françaises (AHMUF)
Association des Professeurs d’Archéologie et d’Histoire de l’art des Universités (APAHAU)
Association des professeurs de biologie et de géologie (APBG)
Association des professeurs d’éducation musicale (APEMU)
Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG)
Association des Professeurs de Langues Anciennes de l’Enseignement Supérieur (APLAES)
Association des professeurs de langues vivantes (APLV)
Association des professeurs de lettres (APL)
Association des professeurs de mathématiques de l’Enseignement public (APMEP)
Association des professeurs de philosophie de l’Enseignement public (APPEP)
Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES)
Association des professeurs de sciences médico-sociales (APSMS)
Comité National Français de Géographie (CNFG)
Coordination Nationale des Associations Régionales des Enseignants de Langues Anciennes (CNARELA)
Sauver les Lettres
Société des Anglicistes de l’Enseignement Supérieur (SAES)
Société d’études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles
Société française d’études irlandaises (SOFEIR)
Société Française des Microscopies (SfM)
Société française de philosophie
Société Française de Physique (SFP)
Société Française de Statistique (SFdS)
Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public (SHMESP)
Société des langues néolatines (SLNL)
Société Mathématique de France
Société des professeurs d’histoire ancienne de l’université (SoPHAU)
Union des professeurs de Physiologie, Biochimie et Microbiologie (UPBM)
Union des professeurs de physique chimie (UdPPC)

Télécharger le texte en pdf.

1 – Arrêté du 25 janvier 2021 publié au Journal officiel du 29 janvier : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043075486

Jean-Marc Gabaude (par Anne Baudart)

[Texte lu à l’ouverture de la séance du 3 octobre 2020]

Jean-Marc Gabaude, notre collègue et ami, nous a quittés le 22 juillet 2020 à l’âge de 92 ans. Les épreuves de santé subies par lui au cours des dernières années ont mis au jour un courage d’exception et une volonté de ne pas se laisser vaincre par elles.

En juillet 2019, le philosophe faisait parvenir à ses amis un fascicule de 73 pages de type testamentaire : Philosophie grecque, moments historiques, aux Éditions universitaires du Sud. Il y livrait, en condensé, les axes de sa philosophie et de son existence de philosophe. Rendant un vif et long hommage au « moment socratique », il aimait convoquer un de ses deux maîtres1, Évanghelos Moutsopoulos et sa philosophie de la kairicité. « N’est-il pas beau et bon de clore son exister par une ouverture kairique ? Mort kairique, en kairô. Tel sera notre explicit2 ». Socrate en représentait à coup sûr une figure exemplaire. Le kairos, ce moment crucial, fugace, original et unique, investi de passé et d’avenir ne doit pas être manqué. Jean-Marc Gabaude s’est exercé, au long des jours, à l’accomplissement réussi de ce moment, dans ses diverses occurrences, dont l’ultime.

Dans ses ultima verba, justement, notre collègue et ami professe un art de vivre « stoïco-épicurien », rendant une sorte de culte à ce qui seul vaut, le présent, offrande gratuite de la Nature, quelle qu’en soit la teneur, heureuse ou non. La notion de Dieu lui semble « vide de sens », mais il respecte et ne combat pas ceux qui s’y réfèrent authentiquement. Les deux valeurs primordiales, à ses yeux, philia kai agapê, ont été actualisées par lui, continûment, dans l’existence comme dans les travaux universitaires, ou les responsabilités institutionnelles qui furent siennes. Professeur à l’Université de Toulouse, doyen de la faculté de philosophie de cette même université, il fut aussi président de la Société toulousaine de philosophie et ne négligea pas ce qui touche à la scolarisation et aux recherches et pratiques éducatives. On lui doit, par exemple, Philosophie de la scolarisation, des années 1880 aux années 19803.

Il laisse de nombreuses œuvres comme Le jeune Marx et le matérialisme antique (1970), Jean Jaurès philosophe (2000), Pour la philosophie grecque (2005), qui lui valut une distinction de l’Académie des sciences morales et politiques, le prix Victor Cousin. Un demi-siècle de philosophie en langue française (1937-1990), retraçant l’historique de l’Association des philosophies de langue française (A.S.P.L.F.) pour l’Université de Laval, lui valut également une distinction de la même Académie, le prix Claude Berthault en 1992. La liste de ses ouvrages est loin d’être exhaustive. Elle se veut soulignement de traits porteurs d’une ouverture d’esprit et d’une curiosité historienne féconde et rigoureuse. Le philosophe acceptera, en1987, sur les instances du président canadien Venant Cauchy (1980-1988), de devenir l’historiographe de l’A.S.P.L.F., lors du Colloque commémorant le cinquantenaire de l’Association à Paris, à la Sorbonne.

En effet, dès 1937, date du IXe Congrès international dédié à Descartes, l’idée germa, sur les instances de Léon Brunschvicg – président de la Société française de philosophie, et de son secrétaire général, de 1901 à 1937, André Lalande, puis de son successeur, Charles Serrus -, de regrouper la dizaine de sociétés de philosophie dispersées dans le monde en une Association internationale qui deviendra l’A.S.P.L.F. Un « Comité permanent de liaison des sociétés françaises de philosophie » se forma en août 1937. Gaston Berger fut sollicité pour en devenir le premier président (1937-1960).

Jean-Marc Gabaude, dans la lignée de ces fondateurs, continuera de diffuser leur esprit en se faisant l’artisan vivant du « lien d’amitié », socle originel de l’Association. Il aime à rappeler combien « Gaston Berger et ses amis ont voulu créer et maintenir un climat fraternel de compréhension et de « réciprocité des consciences », à travers le pluralisme souhaité des tendances, des options, des méthodes4 ». Il souligne les vertus de « l’éthique pédagogique » inhérente à l’institutionnalisation minimale des premières Sociétés de philosophie de langue française.

Lors du XIIIe Congrès de 1966, à Genève, le président Fernand Brunner (1969-1980) valorise cet axe éthique dont Jean-Marc Gabaude fait une pièce maîtresse du présent et de l’avenir de l’ASPLF :

« Notre Association n’a eu, jusqu’ici, aucune réalité en soi ni aucun caractère officiel […]. Elle est le lien d’amitié qui rattache les sociétés de philosophie de langue française les unes aux autres, lien que chaque société à tour de rôle, rend manifeste en organisant un congrès dont elle prend la responsabilité intellectuelle et matérielle.

Telle est l’Association que Gaston Berger a voulu fonder sur la confiance plutôt que sur les procédures juridiques et financières, l’Association que Georges Bastide a conservée ensuite diligemment5…».

Les Congrès organisés par les diverses Sociétés de philosophie de langue française attestent encore de nos jours ce « lien d’amitié » vécu dans la rencontre et le dialogue de philosophes d’horizons différents. Jean-Marc Gabaude, historiographe « perpétuel » de l’A.S.P.L.F., comme il aimait à se définir, s’est voulu le passeur inlassable de l’esprit des fondateurs du début du siècle dernier. Il est à ce titre, un des piliers vivants de nos institutions et de leurs manifestations intellectuelles.

Notes

1 L’autre, Georges Bastide, président de l’ASPLF de 1960 à 1969, qui avait lui-même écrit Le moment historique de Socrate, Paris, Alcan, 1939, fut professeur à l’Université de Toulouse et le directeur de thèse de Jean-Marc Gabaude : Liberté et raison : la liberté cartésienne et sa réfraction chez Spinoza et Leibniz (1970-1974).

2 Jean-Marc Gabaude, Philosophie grecque, Moments historiques, Éditions universitaires du Sud, 2019, p.30.

3 Jean-Marc Gabaude, Philosophie de la scolarisation, des années 1880 aux années 1980, Publications de l’Université de Toulouse-Le Mirail, Coll. « Amphi 7 », diffusion : Éditions universitaires du Sud.

4 Jean-Marc Gabaude, Philosopher en langue française (1900-2012), historique de l’Association internationale des Sociétés de Philosophie de Langue française (ASPLF), Éditions universitaires du Sud, 2012. L’ouvrage complète la première édition parue en 1990, Un demi-siècle de philosophie en langue française (1937-1990).

5 Ibid, p. 161-162.

Déclaration du 19 oct. 2020 à la suite de l’assassinat de Samuel Paty

La Société française de philosophie exprime son effroi devant l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, décapité par un terroriste islamiste pour avoir pris à cœur sa mission au service de la laïcité, des savoirs critiques et des valeurs républicaines.

Elle adresse à la famille, aux collègues et aux élèves de ce professeur ses condoléances les plus vives.

Elle s’alarme des menaces que fait peser sur la liberté de l’enseignement la culture de la haine et de l’intimidation qui s’étend toujours davantage sur les réseaux sociaux.

Elle exprime son soutien à tous les collègues qui, en particulier au collège et au lycée, luttent quotidiennement, pied à pied, contre les forces de l’obscurantisme. Il est essentiel qu’ils puissent compter dans cette lutte sur une aide et un appui sans faille de leur hiérarchie.

Elle prendra sa part de la même lutte par tous les moyens à sa disposition.

19 octobre 2020

Hommage à Christiane Menasseyre du 16 novembre 2019

Le 16 novembre 2019, la séance de la Société a été ouverte par un bref hommage à Christiane Menasseyre.

Présentation par Denis Kambouchner

Christiane Menasseyre est décédée le 29 juillet dernier d’un malaise cardiaque. Inspectrice générale honoraire de philosophie, doyenne honoraire du groupe de philosophie, elle avait assuré durant de longues années le secrétariat général de la Société française de philosophie, particulièrement auprès de notre président d’honneur Bernard Bourgeois. Lourde tâche dont elle s’acquittait avec le très grand soin qu’elle apportait à toutes choses, nonobstant par ailleurs de très importantes responsabilités institutionnelles. Nous la revoyons tous ici même il y a quelques mois, irréductiblement fidèle et présente malgré les grandes épreuves familiales et les soucis de santé qu’elle avait traversés. Nous saluons parmi nous sa fille Anne-Sophie, elle-même professeur de philosophie.

Comme professeur de classes terminales puis de classes préparatoires, puis comme inspectrice générale, Christiane Menasseyre a formé, conseillé, encouragé, secouru lorsqu’il en était besoin, des générations de professeurs. Au sein de notre société, elle représentait et assumait l’une de ses plus importantes missions, celle d’assurer le lien trop souvent distendu entre les divers corps enseignants de philosophie – professeurs de lycée, de classes préparatoires, enseignants-chercheurs en poste à l’université.

Personnalité exceptionnelle, par son autorité naturelle doublée d’une très grande sollicitude, par sa culture qui n’était pas que classique, par cette passion de la raison qu’exprimaient son action comme sa parole, Christiane Menasseyre n’était pas seulement une figure au sein de ce que nous pouvons appeler l’institution philosophique française : elle incarnait cette institution.

Pour parler d’elle, je donne la parole à Catherine Kintzler, puis à Jacques Doly.

Interventions téléchargeables :

Catherine Kintzler, À la mémoire de Christiane Menasseyre.

Jacques Doly, Hommage à Christiane Menasseyre.

 

 

Sur le projet de réforme du CAPES (déc. 2019)

Communiqué sur le projet de réforme du CAPES
6 décembre 2019

Le Bureau de la Société Française de Philosophie a pris connaissance avec inquiétude et consternation du projet de réforme du CAPES actuellement prévue pour la session 2022.

Ce projet articule étroitement les épreuves du CAPES à un master MEEF(1) rénové, dont la structure n’est pas actuellement précisée. La vérification des compétences académiques (disciplinaires) ne ferait plus l’objet que d’une épreuve écrite sur deux, et, pour partie, d’une épreuve orale sur deux. La seconde épreuve écrite serait consacrée à la présentation d’une séquence d’enseignement, la seconde épreuve orale à un entretien à caractère professionnel fortement axé sur la déontologie.

Ce dispositif appelle plusieurs remarques :

1. La maîtrise réelle des savoirs à enseigner est destinée à demeurer la condition première de tout enseignement efficace. Sa vérification exige des épreuves diversifiées, faisant suite à une préparation longue et intensive. Diminuer nettement le poids des épreuves relatives à ces savoirs dans le dispositif de recrutement reviendrait à compromettre l’investissement des candidats dans la préparation correspondante, ce qui ne pourrait manquer de retentir sur la qualité des enseignements.

2. En philosophie comme dans d’autres disciplines, de nombreux étudiants se présentent au CAPES sur la base d’un master préparé dans les départements universitaires. Or, ces épreuves à caractère professionnel n’auront de sens que pour des candidats ayant suivi la formation théorique et pratique dispensée dans le cadre des INSPÉ. Les candidatures au CAPES ne pouvant légalement être subordonnées à l’inscription dans un master MEEF, le dispositif proposé apparaît inadapté.

3. L’épreuve écrite à caractère professionnel est présentée de manière particulièrement navrante, comme exercice de sélection et de commentaire de ressources disponibles en ligne. Toute activité pédagogique est ainsi implicitement ramenée à « l’exploitation » de telles ressources, au mépris de ce qui constitue l’essentiel des tâches formatrices dans des matières telles que les mathématiques, les lettres ou la philosophie, comme dans nombre d’arts et techniques. La maîtrise par les professeurs de leur propre enseignement, en philosophie (où les nouveaux programmes rappellent qu’ils sont « les auteurs de leurs cours ») comme ailleurs, est directement incompatible avec cette évolution.

À l’évidence, la formation initiale et les dispositifs de recrutement et d’accompagnement des futurs professeurs du second degré sont à perfectionner. L’attractivité du métier d’enseignant doit être renforcée. Des remèdes doivent être trouvés à la crise du recrutement, très aiguë dans certaines matières. En l’état, le dispositif proposé n’apportera aucune réelle amélioration. Il apparaît plutôt de nature à préparer, sous couvert de professionnalisation de la fonction enseignante, sa déqualification généralisée.

La Société française de philosophie demande que ce dispositif soit profondément revu et que soit organisée sur l’ensemble de ces questions une discussion réellement ouverte.

1 – MEEF : métiers de l’éducation, de l’enseignement et de la formation.

Télécharger le communiqué en pdf.

Hommage à Didier Deleule du 25 mai 2019

Le 25 mai 2019, en ouverture de séance, la Société a rendu un hommage amical à son président, notre ami Didier Deleule décédé le 6 février 2019.

Ont pris la parole : Anne Baudart, Bernard Bourgeois, Laurent Jaffro, Catherine Kintzler, Eléonore Le Jallé.

Les textes des interventions sont téléchargeables :

On peut lire aussi, publiée en ligne le 15 février, une brève biographie de Didier Deleule par Emmanuel Picavet.

Sur l’avenir de la philosophie et de la sociologie dans les universités brésiliennes

Sur l’avenir de la philosophie et de la sociologie
dans les universités brésiliennes

Le 6 mai 2019

La Société Française de Philosophie exprime sa très grande préoccupation à l’annonce des récentes déclarations du Président de la République du Brésil et du Ministre brésilien de l’Éducation, concernant l’enseignement de la philosophie et de la sociologie dans les universités fédérales brésiliennes.

Le projet de réduire drastiquement le financement public pour ces domaines de l’enseignement et de la recherche part d’un principe contraire à l’expérience en réduisant l’utilité sociale des savoirs à un rapide retour sur investissement. Contre toute tradition, il oppose entre elles les disciplines universitaires en affichant une priorité pour la formation des vétérinaires, des médecins et des ingénieurs.

Les départements de philosophie et de sociologie des universités brésiliennes sont des institutions particulièrement vivantes, dynamiques, et productives, tant sur le plan de la recherche que sur celui de l’enseignement. Elles sont reconnues dans le monde entier et particulièrement bien intégrées à la vie académique internationale. La coopération universitaire franco-brésilienne en philosophie a de fort longue date constitué un important axe d’échanges pour nos deux pays. De nombreux projets de recherche et programmes de formation communs ont été développés. Avec les mesures qui s’annoncent, cette ouverture et cette coopération internationale seraient gravement compromises.

En outre, l’annonce d’une brusque diminution du budget des universités fédérales, assortie d’une mise en cause de la qualité des activités d’enseignement et de recherches qui s’y mènent, ne fait que renforcer l’inquiétude de la communauté académique internationale.

Au nom de la conception libérale de l’enseignement et de la recherche qui a toujours fait l’honneur des universités partout dans le monde, au nom de la tradition de coopération franco-brésilienne dans le domaine universitaire, la Société Française de Philosophie se joint à toutes les voix qui, au Brésil comme hors de ses frontières, appellent le gouvernement brésilien à revenir sur ces décisions funestes.

Télécharger le texte en pdf.

Didier Deleule, brève biographie par Emmanuel Picavet

Notre ami Didier Deleule, président de la Société française de philosophie de 2009 à 2018, nous a quittés le 6 février 2019. Un hommage lui sera rendu lors de la séance du 25 mai 2019 et la Société organisera ultérieurement une séance consacrée à son œuvre. Les textes seront publiés.

Didier Deleule, par Emmanuel Picavet

Nous avons appris avec une grande tristesse, la disparition (le 6 février 2019), en paix et entouré des siens, du professeur Didier Deleule, qui fut de 2009 à 2018 le président de la Société française de philosophie. Didier Deleule était également membre (depuis 2008) du Comité directeur de la Fédération Internationale des Sociétés de Philosophie. 

Didier Deleule

Né en 1941, agrégé de philosophie en 1966, il soutint en 1979 sa thèse (publiée ensuite chez Aubier et traduite en italien), Hume et la naissance du libéralisme économique, à l’université Paris X Nanterre. Enseignant dans les lycées de Suresnes et de Besançon, moniteur à la Sorbonne (1964-1966) et chargé de cours à la Faculté des Lettres de Besançon, il devint maître-assistant dans cette Faculté puis, en 1981, professeur à l’Université de Rennes I et enfin, à partir de 1984, professeur à l’Université Paris X Nanterre. Ses contributions à la philosophie des sciences humaines, à la philosophie économique et à la philosophie politique sont importantes, tout comme ses contributions à l’histoire de la philosophie dans le champ de la pensée anglaise classique. Grand connaisseur de Hume et d’autres figures de la pensée britannique, Didier Deleule a publié de très nombreux travaux qui offrent autant de points de référence à de nombreux autres chercheurs. Traducteur et éditeur de F. Bacon, Berkeley et Hume, et aussi de lettres de Diogène et Cratès pour un volume sur le scepticisme ancien, Didier Deleule a consacré des études thématiques à ses grands auteurs de prédilection (mentionnons encore Francis Bacon et la réforme du savoir, Paris, Hermann, 2010), mais aussi à la psychologie (La psychologie, mythe scientifique, Paris, Robert Laffont, 1969) à l’économie et à la sociologie, au corps, à la contemplation esthétique ainsi qu’au sport (mentionnons son ouvrage destiné au jeune public, Football. Que nous apprend-il de notre vie sociale ? Paris, Gallimard, 2008).

Au fil d’une carrière universitaire intense et exceptionnellement fructueuse, Didier Deleule aura assumé avec la plus grande exigence un très grand nombre de fonctions, et mené à bien des missions importantes, dans les établissements où il eut des responsabilités mais aussi au plan régional (Société franc-comtoise de Philosophie, Société bretonne de Philosophie), au plan national (comme président de commission au jury de l’Agrégation de philosophie, comme président de la section de Philosophie du Conseil national des universités et – à partir de 2009 – à la direction de la Société française de philosophie) et dans les instances internationales (Comité directeur de la FISP, charges de professeur invité aux universités de Rio de Janeiro, Bologne ou encore Kairouan). 

Très impliqué dans le monde de l’édition scientifique et dans la vie des revues (telles que Philosophiques, Les Cahiers philosophiquesRevue des sciences et techniques des activités physiques et sportivesCités – parmi d’autres – et bien sûr à la tête de la Revue de Métaphysique et de Morale à partir de 2009), Didier Deleule s’est montré, jusqu’aux derniers jours, et malgré la fatigue de la lutte contre la maladie, très attentif à la vie intellectuelle de son temps. Son enthousiasme pour le monde des études, sa fidélité aux missions de la philosophia perennis et sa générosité en amitié laissent un grand vide dans le cœur des collègues, des amis, des lecteurs, des anciens élèves ou étudiants qui ont bénéficié de sa présence et de ses lumières. Leur détermination à honorer sa mémoire et son œuvre n’en est que plus grande. Sa gentillesse et son attention aux autres auront marqué ceux et celles qui ont eu le bonheur de le connaître, notamment dans les instances de la Société française de philosophie, dans le travail conjoint avec l’ASPLF et au Comité directeur de la FISP – institutions auxquelles il était particulièrement attaché.  

Didier Deleule fut créé Chevalier des Arts et Lettres (janvier 1989) et Chevalier dans l’ordre des Palmes académiques (promotion du 14 juillet 2004). Un recueil composé en son hommage lui a été offert par ses collègues en 2010 (Comment peut-on être sceptique? dir., Hélène L’Heuillet et Michèle Cohen-Halimi, Paris, Honoré Champion). 

Gérard Jorland, la vie dans les livres, par Roger-Pol Droit

La Société remercie vivement l’auteur Roger-Pol Droit et Le Monde pour leur aimable autorisation de reprise du texte suivant paru dans Le Monde du 21 décembre 20181

La dernière fois que je l’ai rencontré, il y a deux ou trois ans, c’était par hasard, à Paris, boulevard du Montparnasse. Pas loin de chez lui, il scrutait la vitrine d’une librairie avec gourmandise. Gérard Jorland avait en effet, chevillés au corps, un appétit des textes et des idées, une faim de la vie, un goût des autres jamais rassasiés. J’avais retrouvé avec joie son air de faux bourru bienveillant, cousin de Bachelard aux yeux doux. Il m’avait dit les progrès de sa maladie – il ne faisait pas mystère du cancer qu’il combattait – et ceux d’un livre qu’il espérait achever – une vaste enquête sur la vision, au carrefour de l’histoire des sciences et de l’esthétique. Il cherchait à élucider les relations entre optique et création artistique, des vitraux médiévaux jusqu’aux tableaux de Léonard de Vinci et au-delà.

Ce qui l’intéressait, de livre en livre, plutôt qu’expertise unique et spécialisation exclusive, c’était les découvertes, recoupements, carrefours entre savoirs et pouvoirs, entre connaissances et actions. Ses titres et travaux, impressionnants, ne l’enfermaient ni dans un domaine ni dans une posture. Agrégé de philosophie, diplômé d’économie, directeur de recherche au CNRS, directeur d’études à l’EHESS, trésorier de la Société française de philosophie – entre autres… -, il partait néanmoins à l’aventure dès qu’une perspective nouvelle le sollicitait.

D’où le caractère disparate, en apparence, de ses principales ­publications. La série s’ouvre sur une étude magistrale des travaux d’Alexandre Koyré (La Science dans la philosophie, Gallimard, 1981) et se prolonge, trente ans plus tard, par une enquête digne de Michel Foucault, Une société à soigner. ­Hygiène et salubrité publiques en France au XIXe siècle (Gallimard, 2010). Entre-temps, le singulier parcours de ce chercheur passe notamment par l’analyse des innovations (Des technologies pour demain, qu’il dirige, Points, 1992) et par la réflexion sur les concepts économiques (Les Paradoxes du capital, Odile Jacob, 1995).

Bienveillance et amitié

« La question philosophique qui m’a toujours guidé, c’est la capacité prédictive de la science », disait-il en 2010, dans un entretien au Monde, précisant comment l’économie constituait une discipline mathématisée mais non prédictive, alors que les hygiénistes du XIXe siècle fournissaient l’exemple d’un savoir empirique incapable d’une réflexion mathématique. Ses livres se nourrissaient d’innombrables rencontres, comme en témoignent les ­titres codirigés avec Alain Berthoz sur l’empathie (Odile Jacob, 2004), avec Boris Cyrulnik sur la résilience (Odile Jacob, 2012). Il convient d’y ajouter tous ceux dont il fut l’éditeur, d’abord chez Hachette puis, durant de longues années, chez Odile Jacob. Les très nombreux ouvrages qu’il a relus et améliorés gardent son empreinte, même si son nom n’y ­figure pas.

Pourquoi parler de Gérard Jorland aujourd’hui ? Parce qu’il a mis de la vie dans les livres ? Parce qu’il incarnait, à sa manière, bienveillance et amitié ? Parce que Diderot, s’il l’avait connu, l’aurait appelé « le meilleur des hommes » ? Le motif est plus simple : il est mort, le 22 août 2018, à 72 ans, dans Paris désert. Mourir n’est jamais une bonne idée. Mais en France, à cette date-là, c’est pire. Faute d’être informé, personne ne lui a consacré le moindre article (à l’exception d’un hommage de la philosophe Anne Baudart, sur le site de la Société française de philosophie, Sofrphilo.fr, en attendant son article à paraître dans la Revue de métaphysique et de morale). Il fallait réparer cette injustice, fût-ce tardivement, imparfaitement.

 

Hommage à Alexis Philonenko, par Christiane Menasseyre

Alexis Philonenko nous a quittés.

Éteint le regard bleu, rieur à travers les volutes des Boyards ou des Gitanes maïs, tari le flot calme et sourd de propos identiquement sérieux, qu’il s’agisse du Requiem de Gilles, de Cassius Clay-Mohammed Ali ou de la quintuple synthèse, et rebelles à toute interruption, fût-ce pour nécessité de service, autour d’une table amicale.

Demeurent l’œuvre considérable de ce grand historien de la philosophie, la gratitude de ses anciens étudiants, devenus pour certains des collègues, et l’étonnement admiratif général devant un parcours aussi classique que divers et original.

La Société Française de Philosophie dont il fut des décennies un membre fidèle se devait de rendre hommage à Alexis Philonenko. De rappeler d’abord, outre sa participation fréquente aux discussions de la Société, la belle conférence qu’il présenta le 23 novembre 1968 : « Hegel, critique de Kant » et aussi, la part qu’il prit (« Le postulat chez Kant »), aux côtés de François Marty, Simone Goyard-Fabre, Monique Castillo, Pierre Osmo et Bernard Bourgeois, à la Journée d’étude du 27 mars 2004 consacrée au Bicentenaire de la mort de Kant, Actes publiés dans le Bulletin 2004 98.2. On ne saurait oublier non plus, le numéro fondamental de la Revue de Métaphysique et de Morale qu’il coordonna en 2007, intitulé : « Du langage et du symbole ». Ni enfin son intérêt pour l’enseignement de la philosophie comme en témoigne sa longue intervention lors de la séance consacrée à une « Réflexion sur l’état actuel et les perspectives de l’enseignement de la philosophie en France » (24 novembre 1990).

Alexis Philonenko est né le 21 mai 1932 à Paris. C’est à Paris qu’il est mort, le 12 septembre 2018. Ce pur Parisien : enfance à Saint Mandé, scolarité – de « cancre », disait-il… – au Lycée Voltaire, sauvée par ses brillants résultats sportifs, retrouva peut-être un certain exil et ses lointaines racines slaves dans l’itinérance d’une vie professionnelle qui fit de lui, en un sens, un nomade. Maître de conférences à Caen, puis Professeur à Rouen mais en même temps Professeur à Genève, il eut cependant constamment Paris pour port d’attache, Paris, son impressionnante bibliothèque et sa famille, Paris, le foyer de ses intérêts multiples.

Reçu premier en 1956 à l’agrégation de philosophie, il devint rapidement, après une année au Lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg, l’assistant à la Sorbonne de Ferdinand Alquié en histoire de la philosophie. Celui qu’il reconnut toujours comme son maître, qui devait diriger sa thèse, soutenue en 1966 – La Liberté humaine dans la pensée morale et politique de Fichte – l’encouragea à publier en 1960 son Diplôme d’Études Supérieures (aujourd’hui mémoire de maîtrise) consacré à la traduction et au commentaire d’un article de Kant, publié en octobre 1786, (Berlinische Monatsschrift), Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?

Premier travail d’écriture ? Non pas. Peut-être pour le distraire de ce qu’il voyait alentour et qui devait profondément le marquer, l’armée avait donné au jeune appelé en Algérie la charge et le loisir de rédiger, auprès d’un médecin militaire, le Dr Ph. Laurent, un opuscule aujourd’hui oublié : Le Débile mental dans le monde du travail (1959). Le lecteur curieux y trouve, non seulement des analyses philosophiques toujours suggestives, mais des références à Aristote, Kant, Bergson… et même l’une des premières mentions de La Philosophie des formes symboliques d’E. Cassirer. Modeste caillou dans l’édifice imposant des œuvres de ce grand spécialiste de la philosophie allemande, cette brochure annonçait déjà cependant les développements savants que le jeune assistant consacrerait à l’École de Marbourg devant un auditoire encore balbutiant dans l’élément de la pensée kantienne, ultérieurement rassemblés dans l’ouvrage éponyme (1989).

Peut-être Alexis Philonenko était-il fort peu « pédagogue » au sens où on l’entend ordinairement, laissant à chacun de ses auditeurs la tâche de chercher les éléments par son propre travail. Mais il était, au meilleur sens du terme, un « professeur », stimulant chez ses étudiants l’intelligence et le goût de la quête intellectuelle ; se prêtant d’ailleurs volontiers, en fin d’après-midi, au Balzar ou sous les arbres de Saint Cloud, à des explications complémentaires. Ne tenait-il pas « la liberté de penser comme notre bien le plus précieux », elle-même en lien étroit avec le fait de penser en commun ? N’affirmait-il pas, que « l’âme et l’essence de l’enseignement est la répétition » ? (Passent les saisons, passe la vie. Chroniques parues dans la Revue des Deux mondes 1992-1994). À vrai dire, a-t-il jamais quitté l’enseignement ? Chacun de ses ouvrages ultérieurement publiés, en quelque sorte, y contribue.

Bien des années plus tard, d’autres générations d’étudiants expriment leur admiration pour le professeur, pour l’auteur, et non moins grande pour l’homme ; les mêmes mots reviennent : « la classe d’une pensée, le respect pour l’homme … »

L’œuvre monumentale de ce grand historien de la philosophie ne laisse pas en effet d’étonner, et par sa masse et par sa diversité. Si, comme il l’affirme, « les livres sont des arbres », c’est une forêt qu‘Alexis Philonenko a plantée.

Des éditions et traductions , des nombreux ouvrages et articles consacrés à Fichte, Kant, Feuerbach, Schopenhauer, Hegel… citons seulement, outre la Liberté humaine dans la philosophie de Fichte, l’édition et la traduction de la Critique de la faculté de juger – les Réflexions sur l’éducation – Théorie et praxis dans la pensée morale et politique de Kant et Fichte en 1793 – l’Œuvre de Kant, la philosophie critique (tome I, la Philosophie pré-critique et la critique de la raison pure, tome II, Morale et politique), ouvrage devenu quasiment un manuel – Etudes kantiennes Schopenhauer, une philosophie de la tragédie –l’Œuvre de Fichtela Théorie kantienne de l’histoirela Jeunesse de Feuerbach, 1828-1841, introduction à ses positions fondamentalesl’Ecole de Marbourg Métaphysique et politique chez Kant et Fichte –Schopenhauer, critique de Kant… Quelques-uns seulement parmi une bonne cinquantaine.

Alexis Philonenko quitte souvent aussi son terrain d’élection et publie de nombreux articles, parfois rassemblés en ouvrages, (Leçons…) sur bien d’autres philosophes, Aristote, Platon, Plotin, Descartes, Bergson, Chestov… ainsi qu’un impressionnant Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, en trois tomes.

Des traductions en espagnol, portugais, japonais, en serbo-croate… témoignent au demeurant de l’audience internationale de l’œuvre.

Pour caractériser cette œuvre et son auteur, l’un de ses anciens étudiants, devenu un collègue suggère : « Il s’engageait dans l’écriture d’une étude sur un auteur comme dans une confrontation, où sans rien présupposer des thèses reçues, il cherchait à comprendre de l’intérieur les problèmes et la manière singulière, idiosyncrasique, dont le philosophe étudié les avait traités. De là le caractère toujours très personnel de ses livres. Si l’on veut à tout prix qualifier ici, sinon une méthode (comme il y en dogmatiquement une chez Gueroult), du moins une manière de faire de l’histoire de la philosophie, je pourrais peut-être dire une sorte d’«intuitionnisme » (Michel Fichant).

En somme, penser avec… Ne jamais oublier que l’histoire de la philosophie est philosophie.
Mener une confrontation….
Peut-être mener en quelque sorte un combat singulier.

Un combat singulier, avatar de celui qui fascinait l’adolescent ? La boxe en réalité n’a jamais cessé d’intéresser, ô combien, l’adulte : « une fascination un peu honteuse », avouait-il. Au point que, ayant lui-même pénétré « le cercle enchanté », Alexis Philonenko consacra à cet art, le « noble art », plusieurs articles et entretiens, et même plusieurs livres, dont l’un, Histoire de la boxe, lui valut le Grand prix de littérature sportive, décerné en 1992 sous les ors du Sénat ; de Cassius Clay, il admirait « la danse sauvage », il en décrit le mouvement dans Mohammed Ali, un destin américain. Au fond, les boxeurs (Les Boxeurs et les dieux) ne sont-ils pas les compagnons des dieux ?

De manière plus aiguë, et plus générale, bien d’autres ouvrages, par exemple Tueurs. Figures du meurtre, ou encore La Mort de Louis XVI, révèlent l’attraction théorique et le grave souci pratique que, pour cet homme paisible, soucieux de conciliation, représentait, au fondement de la société, la violence. Or, celle-ci puise sa force et trouve sa racine dans les habitudes ; et nous sommes incroyablement habitués à la violence. On peut réduire la violence, non l’éradiquer, l’anéantir : c’est le « mal radical ». C’est la même préoccupation qui inspire les études et essais consacrés à la guerre. Ainsi apparaissent dans Essais sur la philosophie de la guerre, Machiavel, Tolstoï, Clausewitz…patiemment médités.

C’est pourquoi si, selon son commentateur, Fichte voulait consacrer une moitié de sa vie à la philosophie transcendantale stricto sensu et l’autre moitié à la philosophie politique, lui-même préféra, dans sa réflexion, sous sa plume et parfois dans sa parole, entrelacer constamment l’une et l’autre, fécondant l’une par l’autre, puisant peut-être dans la ténacité du nageur au long cours qu’il était aussi – ce que peu savent… – la persévérance et l’énergie nécessaires.

Une telle diversité étonne, une telle abondance stupéfie… Comment est-ce possible ? Il est vrai que c’est par un travail acharné que, en proie à l’angoisse, l’homme conjure la solitude du philosophe. Ainsi, celui qui a pu soupirer « J’ai eu le sentiment parfois, de suivre un chemin tournant autour d’un précipice… » surmonta-t-il, inégalement, les tourments de l’existence. Auprès de lui, son interlocutrice d’élection, Monique Naar, son épouse, professeur de philosophie en khâgne, disparue trois ans avant lui, le retint maintes fois au bord du gouffre et contribua largement à son accueillante générosité. Entre eux, un horizon commun et privilégié, la philosophie certes, mais aussi la musique, qui seule permet de saisir la quintessence du monde.

Dans un même ouvrage, méditatif, si profondément philosophique, L’Archipel de la conscience européenne, Alexis Philonenko, définit à la fois la guerre et l’assassinat comme des actes qui n’appartiennent qu’à l’homme, et la confiance dans la pensée comme seule capable de délivrer l’homme de ses angoisses et de ses tourments. Le primat de la pensée est ainsi pour lui le principe d’une définition de l’Europe ; il va jusqu’à définir celle-ci comme « le continent de la métaphysique » car ce qu’il y a de fondamental dans la pensée métaphysique, c’est la confiance dans la pensée. Il se dit ainsi convaincu que seul l’approfondissement par les Européens de la cohésion spirituelle qui les unit fera de l’Europe autre chose qu’une communauté plus ou moins précaire d’intérêts…

La confiance dans la pensée… N’est-ce pas ce qu’Alexis Philonenko souhaitait, au fond, nous léguer ?

Alexis Philonenko, titulaire de la Croix de la valeur militaire et de la Médaille commémorative d’Algérie, était Commandeur dans l’ordre des Palmes académiques.

A la mémoire de Gérard Jorland, par Anne Baudart

Gérard Jorland, notre trésorier et notre ami, est décédé le 22 août 2018. Anne Baudart a lu le texte suivant lors des obsèques au crématorium du cimetière du Père Lachaise à Paris le 28 août. A l’issue de la cérémonie, elle a écrit un second texte, dédié à la mère de Gérard, Diane Jorland – c’est avec une grande émotion que nous le mettons aussi en ligne, en remerciant Diane Jorland de nous y autoriser.

Gérard Jorland

Gérard Jorland
Gérard Jorland

Au nom de la Société française de philosophie (SFP), de son président en exercice, Didier Deleule, de son président d’honneur, Bernard Bourgeois, des membres de son Bureau, présents aujourd’hui ou de cœur avec nous, des philosophes composant notre institution nationale, nous voudrions, Gérard, te rendre l’hommage qui convient.

L’annonce de ton décès brutal, en cette fin d’août, dans un Paris inhabituel, a fait sur nous l’effet d’un séisme dans l’ordre de l’amitié qui nous unit à toi.

Trésorier en titre de la Société française de philosophie en 2014, après avoir exercé, sous la présidence de Didier Deleule, les fonctions de trésorier adjoint aux côtés d’Emmanuel Picavet, tu remplissais ces fonctions avec efficacité, justesse, célérité et, j’ajouterais, jovialité. Tu n’avais rien du financier empesé, jaloux de ses prérogatives, et semblais même te jouer, avec une aisance légère, des chiffres, fichiers et courriers techniques et complexes, ce qui aurait pu nous rendre comme jaloux !

Apprécié professionnellement de nous tous, qui nous reposions avec confiance sur toi, tu savais, de plus, insuffler à notre Bureau l’énergie vitale et organisationnelle dont il avait parfois besoin, comme toute institution humaine devant faire face à des complexités de plus en plus grandes. Tu ne manifestais jamais de réaction de faiblesse, de complaisance dans un état passif, mais, au contraire, tu dispensais un courage généreux, désireux de servir jusqu’au bout les intérêts intellectuels et les projets, jugés parfois par nous étonnamment ambitieux, comme l’organisation à constituer et promouvoir du prochain Congrès international de 2020. Était-ce, pour toi, manière de lutter contre l’échéance vitale que tu savais tienne depuis des mois ? Non pas ! C’était seulement ta manière d’adhérer tout simplement aux exigences pressantes, impérieuses, de la vie de l’esprit, ta manière de l’honorer et de nous inviter à te suivre sur cette voie d’un infatigable combat pour faire advenir un rayonnement philosophique digne du nouveau siècle qui s’ouvrait pour notre Société, créée en 1901.

Nous rendons hommage tout naturellement à ton travail précis au sein du Bureau, comme à ta personnalité intellectuelle et scientifique d’envergure, scellée dans tes diverses publications. Jusqu’au bout, tu as œuvré à ton prochain ouvrage sur la vision et j’aimais, pour ma part, comme inlassablement, t’entendre me décrire ton émerveillement devant l’art des vitraux dans les cathédrales du Moyen Âge.

Scientifique et esthète, tu l’étais. Philosophe exigeant, goûtant peu les compromissions politiques, déjouant avec une lucidité sans pareille les jeux de pouvoir, vite ridicules et illusoires, refusant les abandons de la pensée critique comme les peurs ambiantes, notamment celles relatives à l’acte de juger, tout simplement, tu invitais, sans relâche, à avancer. Cela, dans une volonté de dépassement des limites, les tiennes propres d’abord, celle du corps, qui force, aujourd’hui, le respect. Jusqu’au bout, je t’ai entendu exhorter à « continuer le combat » de la pensée, de l’étude et de la vie.

Aussi est-ce aujourd’hui l’Ami, le frère en humanité, attentif aux autres, étonnamment discret et pudique, le philosophe chercheur, que nous honorons. Il y a un mois, le décès de Jeanne, ton épouse, avait tracé le chemin tragique de la séparation au sein de ta famille, unie et soudée. Depuis, tu ne cessais de dire : « Je pleure et je travaille, je travaille et je pleure ». Ce furent tes maîtres mots du mois d’août, lors de nos brèves conversations téléphoniques, quand les assauts du corps te permettaient l’échange que tu disais tellement désirer.

Les mots, nous le savons tous ici, par métier ou expérience, survolent ou contournent l’essentiel, par peur, sans doute, de l’éroder. Ils disent et ne disent pas, mais ils sont signes du lien fort qui nous unit à toi.

Ils tentent d’exprimer, pour la première et la dernière fois, un hommage public à l’Ami, au Collègue, au Père, au Frère, mais aussi au Fils, une affection taillée dans le respect envers le témoignage de grande et belle humanité que tu nous a légué pendant près d’une décennie.

Permets-moi de clore sur une note personnelle qui renvoie à nos échanges sans fin sur les vertus pérennes, célébrées par nos Anciens Grecs.

Dans le sillage socratique, Marc Aurèle, comme Diogène, aimait rappeler que tous les hommes sont « frères », de même race, porteurs du divin en eux-mêmes, quel que soit le nom revêtu par lui. Ils se savaient participer à une œuvre commune, dont ils s’évaluaient un maillon faible et fort à la fois. L’universalisme de bienveillance et de bienfaisance était à jamais fondé dans le paganisme antique.

Permets-moi de te dire que tu pouvais être vu comme un maillon marquant et inaltéré de cette chaîne universelle nommée humanité en qui un philosophe moderne a su voir et définir la plus belle dignité.

Anne Baudart, 28 août 2018

Diane Jorland

Il est des êtres que le grand âge n’altère pas, mais grandit et embellit. Comme s’il opérait un lissage des traits inutiles, fugaces, voués seulement à plaire un temps, puis à se dissoudre lentement ou brutalement.

La luminosité de Diane Jorland, la maman de Gérard, en témoigne. Droiture élégante de la posture du corps, agilité mentale, générosité et justesse du propos verbal, son regard et ses dires percent comme l’au-delà du temps où son fils l’a précédée et l’accueillera.

À l’écoute des deux hommages rendus à Gérard, l’un émanant d’un de ses trois autres fils, poète et savant à la fois, l’autre, d’une Société française de philosophie, riche d’un héritage plus que centenaire, la maman partageait l’essence et les effluves des discours, y participait même, avec une pudeur amusée et affectueuse, par des hochements de la tête, des murmures d’aveux et d’acquiescements chaleureux. Ses encouragements furent notre force, à Patrice Jorland et à moi. Ils forçaient l’admiration et traversaient la Tristesse.

De la cérémonie funéraire, je garde mémoire vive de cette belle et unique figure qui tient du réel et du prodige d’une nature pourvoyeuse de dons sublimes.

La mémoire de Gérard était le centre vivant d’un rite funéraire qui, grâce à Diane, s’accompagnait de quelque chose que j’oserais nommer Joie, dans un environnement dédié à son contraire. Beauté contagieuse d’un Bien lové au cœur de créatures inattendues et prometteuses. Diane Jorland appartient à cette race humaine que le malheur extrême n’abat pas, qui œuvre à la Transfiguration du négatif, dans une discrétion lumineuse, parce que généreuse.

La maman transmet la mémoire vivante du Fils Disparu que nous voulions honorer, chacun, à notre manière. Elle a su rassembler, fédérer nos silences, donner le sens qui convient à nos détresses, à nos attentes, comme à nos questionnements, nos abattements.

Qu’elle soit, par ses proches, remerciée et choyée. Elle a été, pour nous tous, une leçon vibrante de courage et de paix que Gérard a su nous léguer comme ULTIMA VERBA, ce 28 août 2018, à Paris.

Anne Baudart, 29 août 2018

Communiqué sur l’usage de l’anglais dans l’administration de la recherche

À l’issue de la réunion du Bureau du 11 janvier 2018, le Président et le Bureau de la Société française de philosophie ont fait part de leur incompréhension et de leurs regrets après l’organisation récente, sur la base de dossiers exclusivement en anglais, du concours national des Ecoles Universitaires de Recherche, alors que le français est la langue de la République.

Dans la mesure où le français demeure une langue internationale dans la recherche, la constitution d’équipes d’experts internationaux francophones, ou capables de travailler en français pour évaluer les dossiers, est tout à fait possible et ne devrait pas être de facto écartée au profit de l’usage d’une langue étrangère comme langue administrative.