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La précarité de l’orthodoxie chrétienne (par Alain Besançon)

Conférence du 22 janvier 2005, par Alain Besançon

Mon essai repose sur l’assomption qu’il existe entre la religion  « naturelle » ou  « païenne » ,  la religion de l’Ancien Testament et celle du Nouveau une vaste zone de recouvrement. Que cependant ces trois religions qui se succèdent chronologiquement ont un champ de vision inégal, la seconde prétendant comprendre plus de choses que la première et la troisième plus que la seconde. Je tiens qu’au sein d’un système religieux donné il existe un point d’équilibre où toutes les parties sont en correspondance et en harmonie sans qu’on puisse ajouter ou retrancher sans dommage quelque chose d’hétérogène. Ce point je l’appelle l’orthodoxie.

L’orthodoxie païenne se règle sur l’ordre du monde. Son point culminant est dans l’exercice de la philosophie. La fin de l’antiquité voit s’opérer une sorte de fusion des différentes écoles dans une religiosité commune. Cette orthodoxie n’est pas dogmatique. Chacun est libre de choisir le système qui lui convient le mieux et où il peut mettre son espérance de bonheur. Cependant il existe des religions où l’ordre du monde paraît perdu de vue et qui font entrer dans ce que j’appelle l’hétérodoxie païenne. Le test est en général les sacrifices humains et l’idolâtrie. Hume estime que le monothéisme peut n’être pas une rupture, mais une continuation, ou une concentration du polythéisme sur un dieu privilégié déclaré unique. Le cas de l’Islam peut être envisagé comme un cas extrême d’un monothéisme païen qui se cache derrière un refus absolu de l’idolâtrie polythéiste. Je l’analyse comme la religion naturelle du Dieu révélé, ou comme une idolâtrie du Dieu d’Israël.

L’orthodoxie juive s’est formée avant le christianisme et s’est fixée en milieu pharisien en défense contre l’anéantissement romain et contre la tentation du christianisme. La question à laquelle je m’efforce de répondre est celle-ci : le judaïsme post-chrétien a-t-il intégralement sauvegardé l’orthodoxie qui était la sienne au moment de l’événement messianique, tant du côté de l’ordre du monde que de la révélation dont il avait été favorisé ? La réponse est évidemment positive en ce qui concerne la prière et le culte synagogal. Elle est plus nuancée en qui concerne le Talmud et la Kabbale. Je discute les points de vue du Grand Rabbin Adin Steinsaltz et d’Emmanuel Levinas. L’orthodoxie chrétienne, qui, comme la religion de l’Ancien Testament, repose sur la foi, sur la confiance en la parole de Dieu, est nécessairement fragile, d’autant qu’elle ne peut s’appuyer ni sur la tradition déjà fixée du judaïsme, ni sur l’étude de la Thora intangible, ni sur l’appui d’un peuple aux frontières nettement délimitées. Le christianisme a donc dû recourir à une gamme de moyens pour se défendre contre la décomposition de sa foi. Je distingue les moyens  » intrinsèques  » qui se développent à l’intérieur de la foi et dans sa logique même, et les moyens  » extrinsèques  » qui peuvent être appelés de l’extérieur. Ces derniers ont été principalement l’appel au pouvoir politique et l’association avec le sentiment national. Ces étais ou ces contreforts n’ont pas toujours été suffisants, bien au contraire, pour sauvegarder l’orthodoxie. De plus ils se sont tous écroulés à l’époque moderne. Ce qui fait que l’Eglise chrétienne, née toute nue et exposée à tous les vents, se retrouve deux mille ans plus tard dans la même situation.

Bulletin 2005 99 1