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L’acte esthétique (par Baldine Saint Girons)

Conférence du 19 janvier 2008 par Baldine Saint Girons 

Baldine Saint Girons
Baldine Saint Girons

Parler d’acte esthétique, c’est vouloir habiliter et rendre visible ce que nous appellerons  « le travail esthétique » , plutôt que le sentiment ou la relation esthétiques. En considérant d’abord l’esthétique comme un adjectif substantivé, nous chercherons à isoler non seulement l’élément esthétique qui s’enchevêtre à la plupart des actes de pensée, mais des  » moments  » esthétiques qui permettent ou favorisent le surgissement de la pensée, en amont, et son transfert ou sa communication, en aval.
Première réduction abusive de l’esthétique : esthétique serait synonyme d’artistique. Soit un exemple qui éclairera d’emblée notre projet : pourquoi rendre der ästhetische Zuschauer de Nietzsche par  « le spectateur artiste » ou  « l’auditeur artiste  » (1964 et 1977) ? »  « Spectateur esthétique » aurait sans doute conduit au pléonasme. Mais il est clair que ni  « spectateur » , ni  « auditeur » ne traduisent vraiment Zuschauer. C’est bien de témoin ou d’ « acteur esthétique » qu’il s’agit ; et il n’y a aucun lieu de confondre l’acte esthétique du témoin avec l’acte artistique. Le travail du spectateur, si on veut garder ce mot, est un travail esthétique.
Deuxième réduction : on fait d’esthétique un synonyme du beau. Pourtant, non seulement l’aisthesis ne saurait se montrer toujours belle, mais il n’est pas sûr que le souci premier ou le souci unique de la sensibilité soit de trier le sensible en le pliant à des catégories, telles que le beau, le gracieux, le grotesque, etc. Si l’esthétique comme discipline se réduisait à la callistique, ainsi que le veut Baumgarten, voire même à la science des catégories esthétiques, elle ne se soucierait plus d’élaborer et de transmettre des techniques du travail esthétique, permettant de recomprendre les différents actes artistiques et d’approfondir la singularité sensible.
Pour que l’élément esthétique puisse être correctement dégagé, trois thèses philosophiques, plus ou moins explicites ou latentes, doivent être systématiquement réexaminées : la thèse de la passivité, jointe à celle de l’ignorance (point besoin d’effort ni d’apprentissage pour sentir) ; la thèse de l’instantanéité (le travail esthétique s’effectuerait toujours in praesentia et se réduirait au seul jugement) ; la thèse de l’hédonisme dans ses deux versions : morale et socio-politique (le travail esthétique ne mériterait pas ce nom, car il appartiendrait à la sphère du divertissement ; et il serait l’apanage d’une classe opulente et oisive).
L’enjeu de la présente recherche est de montrer la quadruple fonction de l’acte esthétique : réponse à la provocation du sensible, sauvegarde de l’altérité, enrichissement et production du réel, instauration d’un lien substantiel entre les hommes. J’insisterai surtout sur le troisième point, ou plutôt sur son fil conducteur : comment et pourquoi l’acte esthétique s’inspire-t-il de la pratique des différents arts pour se rapporter au monde ? Il le poétise et le musicalise, le jardine ou le paysage, le peint ou le sculpte, l’architecture ou le chorégraphie. Voila non pas des métaphores vaines, mais les noms d’opérations rigoureuses, liées à des perspectives et à des problèmes bien précis.

Baldine Saint Girons est professeur de philosophie des XVIIe et XVIIIe siècles à l’Université de Paris X-Nanterre.

Bulletin 2007 101 4