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L’attachement (éros et agapè) (par Yvon Brès)

Conférence du 26 novembre 2011 par Yvon Brès 

Yvo Brès
Yvo Brès

Le but de cet exposé est de montrer que le concept d‘attachement mériterait d’être, dans les sciences humaines, mais également en philosophie, en théologie, en littérature, d’un usage beaucoup plus étendu que celui dont il a bénéficié jusqu’ici. L’idée de cette extension m’est venue à la lecture de la réédition du livre de Nygren, Érôs et agapé, et aussi d’un ouvrage sur l’acédie qui développe la thèse bien connue de Nietzsche sur l’amour chrétien comme Eros empoisonné. 

L’origine de la notion d’attachement se situe dans la psychologie animale, avec la notion d’empreinte (Prägung). Elle est depuis longtemps d’un usage courant en psychologie et psychiatrie de l’enfant et a été adoptée, il y a bientôt quarante ans, comme concept psychanalytique dans les pays de langue anglaise (cf. Bowlby). Un certain nombre de psychanalystes français (par ex. Anzieu, Wildlöcher) en font eux aussi un usage ferme mais discret, car ils n’insistent pas sur le fait que Freud l’a totalement méconnue.
Il serait intéressant de reprendre l’œuvre de Freud dans son ensemble pour montrer comment, chaque fois qu’il rencontre des faits d’attachement, il s’efforce, de manière souvent contournée, d’esquiver le concept en tant que tel et d’en donner une interprétation  » érotique « , ce qui aboutit à mettre en avant une sorte d’Eros élargi (à partir, d’ailleurs, du rapprochement avec Platon) qui n’aura plus d’autre partenaire que la pulsion de mort.
C’est à cet Eros, même élargi, que le Nouveau Testament oppose l‘agapé comme l’amour qui vient de Dieu, opposition qui sera atténuée dans la tradition catholique (Saint Augustin, Saint Thomas, Benoit XVI) mais affirmée avec force par le luthérien Nygren, ce qui expliquerait dans une certaine mesure, par réaction, la thèse nietzschéo-lacanienne de l’éros empoisonné.
Je voudrais au contraire simplement suggérer que, si l’on voulait absolument trouver un concept psychologique permettant de se représenter l’agapé, on aurait pu, au lieu de s’en tenir à Érôs et à la pulsion de mort, utiliser aussi la notion d’attachement.
Celle-ci permettrait peut-être, en outre, de relire le Banquet sans avoir à considérer comme  » théorie platonicienne de l’amour  » le seul discours de Diotime. La prise en considération de celui d’Eryximaque et de certains passages du Phèdre conduirait de surcroît à remettre sérieusement en question l’interprétation freudienne de la dualité empédocléenne philotès-neikos et de comprendre à partir de l’attachement les passages les plus connus de l‘Antigone de Sophocle.
Il n’est pas jusqu’à la notion japonaise d‘amae qui ne s’éclaire d’une certaine manière comme correspondant, dans un contexte bouddhiste, à ce concept occidental né dans la psychologie animale, mais dont l’utilisation pourrait être plus large.

Bulletin 2011 105 4