Historique et finalité

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Historique et finalité

La Société française de philosophie (SFP), qui a fêté en 2001 son premier centenaire, fut créée quelques années après la Revue de métaphysique et de morale (1893) par les fondateurs mêmes de celle-ci : Xavier Léon, Elie Halévy, Léon Brunschvicg entre autres, qui avaient également organisé à Paris, en 1900, le premier Congrès mondial de philosophie (1) – ils allaient aussi être à l’origine de la création, en 1937, de l’Institut international de philosophie. Cette institution simultanée d’un lieu de discussion national et d’un cycle de rencontres internationales témoigne de l’esprit d’ouverture d’un rationalisme moderne qui était par ailleurs soucieux, dans sa fidélité à la tradition métaphysique, de penser une actualité alors marquée par l’intensification du progrès scientifique et la généralisation des crises socio-politiques.

L’histoire de la SFP a constamment illustré cette ouverture, en elle, de la réflexion critique aux manifestations universelles, aussi les plus objectives, les plus réelles, de l’esprit humain, aussi le plus actuel. Ouverture à l’étranger : on entendit, à la SFP, Russell, Dewey, Piaget, Husserl, Cassirer, Reichenbach, Lukacs… Ouverture aux sciences : furent invités Jean Perrin, Langevin, Einstein, Louis de Broglie, Lichnerowicz… Ouverture à l’actualité : citons Georges Sorel, Raymond Aron… Cela, pour ne parler que de grands hôtes disparus. Mais, durant le siècle écoulé, tous les courants majeurs de la philosophie se sont exprimés devant la SFP, à raison, d’abord, de 6 à 8 séances par an, puis, après le premier conflit mondial, de 4 rendez-vous annuels. La série des Bulletins de la Société française de philosophie (maintenant édités par la Librairie philosophique Vrin) offre ainsi un tableau quasi complet de la vie philosophique en France depuis le début du XXe siècle. Un tableau qui la présente, sans parti pris privilégiant telle ou telle école, en faisant se rencontrer et débattre en elle toutes les pensées dont elle s’est nourrie ; bref : un tableau lui-même vivant. La publication en ligne sur ce site d’un ensemble de Grandes conférences (philosophie des sciences, philosophie socio-politique, psychologie, morale, éducation et enseignement, esthétique, philosophie de la religion, métaphysique, histoire de la philosophie) sélectionnant les grandes conférences et les moments les plus aigus des discussions qui ont animé la SFP concrétise ce tableau sans doute unique de la philosophie française de 1901 à nos jours.

Les activités de la SFP ont, à l’origine, aussi consisté, en plus de l’organisation des conférences et discussions toujours existantes, dans la confection, pendant une vingtaine d’années, sous la direction d’André Lalande et moyennant un travail collectif, du Vocabulaire technique et critique de la philosophie : celui-ci (édité par les Presses universitaires de France) se proposait de faciliter et diffuser auprès d’un large public la pratique de la réflexion philosophique. Telle est bien aussi la finalité qui a été de plus en plus assignée aux séances de la SFP, où, dans les débuts, on se retrouvait plutôt entre soi. Les quatre séances ordinaires annuelles (généralement un samedi, de 16 à 18 heures, 2 en novembre, janvier, mars et mai-juin, en Sorbonne) comportent d’abord une heure de conférence puis une heure de débat, débat libre et spontané proposé aux participants. Conférences et discussions sont publiées dans les quatre Bulletins annuels. Les responsables de la SFP s’efforcent d’équilibrer, quant aux genres de sujets et quant aux types de conférenciers, le programme de chaque année. Ainsi, par exemple les séances de l’année 2002 ont porté, successivement, sur la science contemporaine (avec le physicien Alain Aspect), sur la philosophie politique (avec le politologue Pierre Hassner venu traiter de la signification du 11 septembre), sur l’actualité philosophique (l’influence germanique en France, avec Dominique Janicaud), et sur l’histoire de la philosophie (post-hégélienne et post-marxienne, avec le penseur italien Domenico Losurdo).

La SFP organise aussi des manifestations de plus grande ampleur. En 1996, ce fut le Congrès sur « L’esprit cartésien », qui réunit en Sorbonne pendant quatre jours 800 participants représentant les Sociétés de philosophie de langue française dans le monde. Elle a célébré en mars 2004, à l’Institut de France, le bicentenaire de la mort de Kant. Les 12 et 13 octobre 2006, à l’Université de Paris X-Nanterre, elle a fêté le bicentenaire de l’achèvement de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel. En 2007, elle a commencé à mettre en ligne un important recueil de « Grandes conférences » qui ont jalonné son activité pendant un siècle. Il faut ajouter enfin que la fidélité à ses origines l’a amenée récemment à reprendre la gestion directe de la Revue de métaphysique et de morale, sa Revue, mais dont elle veut faire un lien non dogmatique et ouvert d’échanges et de débats entre les diverses voix de la pensée de notre époque.

La SFP invite à participer à ses activités tous ceux qui sont animés par le souci de la vérité. Elle n’oublie pas les étudiants doctorants ni les professeurs de philosophie engagés dans une recherche et a ouvert en 2009 des Ateliers de recherche où sont présentés et commentés des travaux en cours, dont beaucoup sont publiés sur un site qui leur est spécialement dédié.

Dirigée par un Bureau élu par un Conseil d’administration lui-même aussi élu pour six ans par l’Assemblée générale des membres sociétaires (au nombre de 200, suivant les Statuts) cooptés, elle accueille en son sein à titre de membres associés (invités officiellement aux séances et destinataires du Bulletin), tous ceux qui se reconnaissent en son projet de service de la pensée universelle, projet qui présida à sa création et qu’elle entend maintenir dans son attention à la vie présente de l’esprit.

1 – Voir le livre de Stéphan Soulié, Les philosophes en République. L’aventure intellectuelle de la Revue de métaphysique et de morale et de la Société française de philosophie (1891-1914), Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2009.

Les débuts de la SFP, par Bernard Bourgeois

La conférence de Bernard Bourgeois « Jeunesse d’une société (1901-1939) » donnée à l’occasion du centenaire de la SFP le 15 décembre 2001 est téléchargeable sur la page du numéro du Bulletin

Jacques D’Hondt

Jacques D’Hondt (président de la SFP de 1981 à 1991) : la liberté dans l’engagement. Par Bernard Bourgeois

Jacques D'Hondt
Jacques D’Hondt

Jacques D’Hondt, philosophe de réputation internationale, est décédé à Paris le 10 février 2012. Il était né à Saint-Symphorien, près de Tours, le 17 avril 1920. Son père, décorateur anversois, engagé volontaire en 1914 dans la Légion étrangère, devint français en 1921. Sa mère, institutrice issue d’une famille juive alsacienne, sera une victime du camp de Drancy, tandis que deux sœurs d’elle périront à Auschwitz. Le jeune Jacques, qui assume l’héritage républicain et athée reçu de ses parents en adhérant dès l’âge de 14 ans aux Jeunesses Communistes, sera marqué, lui aussi, par le conflit.

Ainsi, alors que l’ancien lycéen de Tours, puis étudiant de Poitiers, enseigne la philosophie au collège de Chinon, il est arrêté par la police en raison de son activité clandestine de résistant. Il poursuivra néanmoins celle-ci, même pendant son séjour forcé en Bavière.

Son militantisme politique se développera auprès d’un instituteur communiste qui va devenir député et sénateur de la Quatrième République, et dont il a épousé la fille. Cet engagement s’intensifiera même électoralement, après son succès à l’agrégation (1949), à Toulouse puis à Poitiers, où il est professeur de lycée. Mais, en août 1968, il démissionne du Parti en dénonçant les entreprises soviétiques. Le marxiste résolu qu’il avait été venait d’être consacré comme un vigoureux hégélianisant.

Car, en 1966, il a soutenu avec brio ses deux thèses – dirigées, la première, par Hyppolite, la seconde, par Ricoeur – déposées dans les deux ouvrages : Hegel philosophe de l’histoire vivante (1966) et Hegel secret(1968). Dans ces textes, ainsi que dansHegel en son temps (1968), écrits avant la cassure politique, D’Hondt, venu à Hegel par Marx, le saisit comme le penseur que celui-ci accomplira, essentiellement le penseur de l’histoire.

L’histoire selon Hegel est, pour D’Hondt, animée par sa dialectique immanente, progressiste et infinie, proprement humaine, qui n’a que faire d’un fondement divin transcendant. S’employant, à l’aide d’une érudition impressionnante, à décrypter un prudent double langage de Hegel, D’Hondt veut restituer ses liens avec les Lumières d’abord françaises, politiquement et théologiquement émancipatrices, et leur épanouissement révolutionnaire. On retrouvera une telle insertion historique de la spéculation hégélienne dans deux ouvrages ultérieurs : la biographie Hegel et le recueil Hegel et les Français, parus en 1998.

L’enseignement magistral de D’Hondt à l’Université de Poitiers (1967-1987), amplifié dans le Centre Hegel-Marx qu’il y crée en 1970 et qui devient vite un haut lieu mondial du débat intellectuel, se nourrit de sa réflexion renouvelée sur le couple dialecticien inaugurateur des temps actuels (De Hegel à Marx, 1972). Mais, en liaison avec la dérive accentuée du communisme, D’Hondt souligne désormais que Marx ne peut accomplir Hegel qu’autant que Hegel fonde Marx et reste agissant en lui.

Contre Althusser célébrant une coupure bénéfique entre eux, et face au structuralisme destructeur de l’historicité, D’Hondt (L’idéologie de la rupture, 1978) insiste sur la continuité historique : la concrétisation de la liberté abstraite ne saurait être sa destruction. L’abstraction de 1789, dont la concrétisation hégélienne est fille, juge la dérive de 1917. D’Hondt reste ainsi fidèle à Marx, mais en hégélien, et cet hégélien est toujours en lui d’abord l’homme de ces Lumières dont il a si bien parlé.

C’est l’esprit libre du meilleur XVIIIe siècle qu’il veut retrouver dans la société des philosophes, dont il s’efforce de faire, notamment à travers ses présidences de la Société française de philosophie (1981-1991) et de l’Association des sociétés de philosophie de langue française (1988-1996), une communauté d’amitié. Dans celle-ci, le professeur strict libérait sa verve de conférencier exceptionnel et débattait avec passion, mais sans le moindre dogmatisme.

Il ne succomba pas pour autant à l’indifférentisme, même en ces dernières années, où – affecté aussi par la maladie d’un monde semblant dissoudre en son non-sens réel une raison hégélienne qui n’aurait d’être qu’en lui – il continua de croire en elle. Il le pouvait d’emblée, lui qui avait d’abord philosophé, dans son premier Mémoire, sur et avec Spinoza. Il maintint bien, ici aussi, l’avant dans l’après, la raison universelle, prise hors de tout statut originairement spirituel, comme absolument naturelle (Deus sive natura), dans une histoire devenue humainement si énigmatique. Il pratiqua à sa manière, qu’on pourra dire plus spinoziste qu’hégélienne, la circulation entre Spinoza et Hegel par laquelle celui-ci définissait la spéculation philosophique. C’est aussi parce que sa sagesse se fixa à un tel échange entre ces deux Grands de la modernité qu’il y eut toujours chez Jacques D’Hondt quelque chose de grand.

Inventaire des archives déposées au centre documentaire du CAPHES

Les archives, initialement entreposées à l’Hôtel de Nevers (12 rue Colbert 75002) ont été déposées lors du déménagement en 2006 au Centre documentaire du CAPHES (29 rue d’Ulm 75005) qui les a dépouillées et en a établi l’inventaire, accessible en ligne.