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« La vieille querelle entre philosophie et poésie » (par Charles Larmore, répondant Vincent Descombes)

« La vieille querelle entre philosophie et poésie »,

conférence du 21 mai 2022 par Charles Larmore (Brown University, Providence, Rhode Island)

répondant : Vincent Descombes (EHESS)

 

Platon, on le sait, a parlé d’une « vieille querelle entre la philosophie et la poésie » (Rép. 607b). En réalité, la Grèce ancienne n’a pas connu, avant Platon, de dispute concernant la supériorité relative de la philosophie et de la poésie. Platon l’a inventée pour légitimer son abandon de la poésie en faveur de ce qu’il appelait « philosophie », et qui serait, à l’instar de la géométrie, une forme de savoir systématique de son objet – en l’occurrence, du rapport fondamental entre l’esprit et le monde. La poésie, par contre, ne s’intéresse aucunement, dit-il, à la vérité des choses mais seulement à l’impression qu’elles font sur nous. La querelle, telle qu’il nous l’a léguée, tourne ainsi autour de l’opposition entre la recherche d’explications des phénomènes et l’inclination à se fier à ses impressions. On va pourtant montrer que la poésie ne se réduit pas à un simple divertissement, mais qu’elle vise, elle aussi, la connaissance, quoique d’une nature bien différente.

Charles Larmore

Parfois, un poème peut nous faire ressentir des vérités que notre propre conception du monde – ou (comme chez Lucrèce) la philosophie du poète lui-même – est incapable de reconnaître. Mais ce n’est pas parce que la poésie s’attache à communiquer des vérités. C’est parce qu’elle cherche plutôt à évoquer des expériences. Car l’évocation d’expériences peut avoir pour effet secondaire, même involontaire, de suggérer des vérités jusque-là insoupçonnées. Il reste pourtant qu’une meilleure philosophie est toujours à même de rectifier l’erreur. Aussi certains poètes philosophes (Hölderlin, Y. Bonnefoy) ont-ils eu tort de croire que la poésie seule, non la philosophie ou d’ailleurs le savoir systématique, est en mesure de nous dévoiler des vérités fondamentales de la condition humaine.

Il existe néanmoins quelque chose que la poésie seule, non la philosophie, peut accomplir. En général, il faut distinguer entre connaissance de vérités et connaissance de choses. Or, le genre de connaissance que vise la poésie, à la différence de la philosophie, est de ce dernier type. C’est justement la connaissance d’expériences, c’est-à-dire de l’effet que cela fait de faire ceci ou d’être cela. Ainsi, la vieille querelle entre philosophie et poésie repose sur un malentendu. Car connaissance de vérités et conn

Vincent Descombes

aissance d’expériences ne sont pas en concurrence. La poésie cherche à exprimer des expériences de manière puissante et mémorable, ce qui ne relève pas de la compétence de la philosophie. Cela explique le souci particulier du langage, de rythme et de tournures, qui est caractéristique de la poésie.