Spinoza et Descartes : sur la seconde partie des Principia philosophiæ cartesianæ (par Frédéric de Buzon, répondant : André Charrak)
Conférence du 16 octobre 2021
« Spinoza et Descartes : sur la seconde partie des Principia philosophiæ cartesianæ »
par Frédéric de Buzon, professeur émérite, Université de Strasbourg
Répondant : André Charrak (Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
La rédaction du premier traité publié par Spinoza, et le seul qu’il ait donné sous son nom, avait initialement pour objet de présenter les résultats de la partie de physique générale des Principia philosophiæ de Descartes en leur donnant une forme géométrique, suivant le modèle euclidien. Dans cette forme que Descartes n’avait pas cru devoir retenir, Spinoza expose les thèses cartésiennes en en modifiant l’ordre, en supprimant certains éléments et en en ajoutant d’autres. Sur les points importants, le propos ne soutient pas de thèses très différentes des propositions originales. Mais, par exemple, tout l’ensemble des propositions qui fait suite à l’énoncé des règles du choc est profondément remanié.
Parmi les passages ajoutés ou fortement remaniés figure le long scolie de la proposition 6, qui vaut transition entre les propositions
portant sur l’essence de la matière et celles qui concernent la théorie du mouvement. Ce scolie comporte une réfutation totalement inédite de thèses prêtées, sans doute un peu abusivement, à Zénon d’Elée contre la réalité du mouvement. La portée de cette réfutation, tout à fait absente du texte de Descartes, est pourtant elle-même problématique. S’agit-il de prouver (démonstrativement et non ostensivement) la réalité du mouvement ? Ou bien d’affirmer ce qui est le moyen terme de cette réfutation : la continuité du temps ? Et, dans ce cas comme dans l’autre, Spinoza se servirait-il de cet argument pour réfuter la conception cartésienne du temps ?
Nous chercherons à montrer que la conception spinozienne sur ce point ne s’oppose pas à celle de Descartes, mais vise à l’expliciter. L’idée d’un atomisme temporel cartésien, soutenue par de nombreux commentateurs depuis Wahl et Viguier, est, comme on le sait par les travaux de Laporte et de Beyssade, une thèse interprétative contestable. Rien sous la plume de Spinoza ne témoigne que la pensée cartésienne soit ainsi interprétée, et moins encore visée ou critiquée. Bien au contraire, en conclusion des deux réfutations originales qu’il propose, Spinoza renvoie son lecteur aux textes cartésiens traitant de l’Achille. L’argumentation spinozienne met en œuvre, à propos des rapports entre les quantités de matière et les vitesses de déplacement, un raisonnement qui n’est explicite chez Descartes que dans les dimensions spatiales. Il revient ainsi à Spinoza de rendre explicite la dimension temporelle du problème.
Il s’agit ainsi de conclure sur Descartes, Spinoza et la divisibilité du temps ; puis de montrer que le travail spinozien revient pour l’essentiel à donner aux thèses cartésiennes l’allure de propositions réciproques, et, partant, à en montrer le caractère réellement systématique. Une ouverture vers l’Éthique, notamment à propos de la doctrine du conatus (PPC2P17 et 3Def.3), sera évoquée en fin d’analyse.