Responsables : Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni.
Programme et calendrier sur le site des Ateliers.
Société française de philosophie
Informations, conférences, colloques, publications…
Responsables : Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni.
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Les rapports d’activité 2015 avec leurs annexes, votés lors de l’Assemblée générale du 19 mars 2016, sont disponibles en téléchargement sur cette page.
J’ai rencontré Jean Lefranc en 1985. Professeur de philosophie en Lycée déjà depuis une quinzaine d’années, mais encore assez jeune, j’étais prise dans une génération qui considérait que l’adhésion à une association professionnelle ou spécialisée n’entrait pas dans son champ de vision : ainsi en allait-il de l’APPEP1 et de la SFP. C’est Jean Lefranc qui, par son exemple, a levé ces réticences de coquetterie. Voici dans quelle circonstance.
Un grand colloque international francophone sur l’enseignement de la philosophie se tenait à Dakar au début de mars 1985. Jacques Muglioni, alors doyen de l’inspection générale de philosophie, réunit un groupe de professeurs pour y participer. Professeur au Lycée de Montmorency, je venais de publier mon Condorcet… et me voilà embarquée. Dans l’avion Paris-Dakar, installée entre Jean-Marie Beyssade et Jean Lefranc, je participai à une conversation alerte qui passait du commentaire des Méditations de Descartes à celui des conditions de l’enseignement philosophique et de la recherche qui le nourrit. Sur place, en une semaine de travail intense, entourée par l’indéfectible bonne humeur des trois gentlemen qui m’accompagnaient, j’en appris probablement plus sur l’Afrique qu’un touriste en deux mois de séjour. La rencontre avec des collègues venus de tout ce continent est encore pour moi un sujet de méditation : l’audace et l’élégance de leurs propos, et surtout leur courage simple et tranquille, je ne les oublie pas. Il faut avoir vu des commissaires politiques coller aux talons des uns, avoir pris la mesure des représailles auxquelles s’exposaient d’autres à leur retour, pour être rappelé à l’essentiel, remis sur les rails de l’émancipation de la pensée, et prendre vraiment Socrate, Descartes et Voltaire au sérieux – ce qui est aujourd’hui plus que jamais urgent, nécessaire.
La parole à la fois ferme et discrète, savante et limpide, de Jean Lefranc est pour moi indissociablement liée à ce moment de rafraîchissement de tout ce que la liberté d’esprit a de précieux, de fragile et de vital. À notre retour, je cessai de me pincer le nez d’un air dégoûté à l’idée d’une association qu’il était de bon ton de dire « corporatiste », j’adhérai à l’APPEP, et je le rejoignis peu d’années après au sein de la SFP.
Déjà une logique gestionnaire et anti-intellectuelle était à l’affût derrière un discours moralisateur. Un discours qui, y compris de l’intérieur et en son propre nom, réclamait l’affaiblissement de l’enseignement philosophique tout en en proclamant l’importance et la grandeur. La Société française de philosophie, en organisant un débat mémorable en novembre 1990, s’en était alarmée, parallèlement au travail que Jean Lefranc menait patiemment au sein de l’APPEP.
Jean Lefranc nous a appris à débusquer cette logique, à arracher son masque de bons sentiments. La lecture des éditoriaux composés durant tant d’années pour L’Enseignement philosophique n’est pas seulement instructive pour l’histoire de cet enseignement. Elle peut aussi être effectuée pour elle-même parce qu’elle est une constante leçon de philosophie appliquée, où la hauteur de vue est celle qu’il faut prendre pour rendre le regard perçant.
En descendant dans l’arène de la sempiternelle « réforme », sans jamais se départir de la hauteur de la pensée, Jean Lefranc a montré que défendre et promouvoir l’enseignement philosophique c’est faire de la philosophie. Aussi a-t-il été, sans qu’on puisse voir là aucune distorsion, aucun déchirement, un universitaire dévoué à l’enseignement et à la recherche, et un auteur. Parce qu’il ne se dérobait pas devant les tâches administratives, il retint longtemps dans ses cartons la matière des nombreuses publications parues lorsqu’il put s’en libérer. Sa participation à la vie de la Société française de philosophie n’est pas en reste, elle aussi témoigne d’une intense activité intellectuelle. On se souvient, outre ses nombreuses interventions dans les discussions, d’un beau chapitre sur Volney dans le volume La philosophie et la Révolution française en 1993 et plus récemment de sa conférence « Schopenhauer, penseur ‘fin de siècle’ ».
Son œuvre publiée, de La philosophie française au XIXe siècle à L’esprit des Lumières et leur destin, de Comprendre Schopenhauer à Comprendre Nietzsche, en passant par Platon et par Freud, est à son image : élégante, savante, constamment inspirée par le souci d’éclairer, d’instruire, menée par une pensée ferme. Elle est parcourue par un fil rouge qui y trace une sorte d’inquiétude salutaire, un intérêt pour ce qu’il appelait avec humour des « objets philosophiques non identifiés » comme l’athéisme idéaliste – non ce n’est pas un oxymore –, pour cette obscure clarté qui tombe des Lumières, et qui leur vient peut-être d’une secrète filiation avec les moralistes, lorsqu’elles produisent la clairvoyance d’un pessimisme bienveillant. L’universitaire élégant et discret, le chercheur raffiné et immensément savant était un philosophe de la lucidité qui sut combattre pour la philosophie, les yeux grands ouverts.
Texte lu devant l’Assemblée générale du 23 janvier 2016
François Dagognet nous a quittés le 3 octobre 2015.
Son œuvre est immense et a fait l’objet de plusieurs colloques qui ont réuni ses amis, ses disciples, ses admirateurs (c’était souvent les mêmes) pour souligner ses apports, son originalité, la pertinence de ce style de pensée et d’écriture à nul autre pareil.
La réunion que nous avons organisée ce jour a un autre objectif: nous aimerions que chacun des intervenants exprime à sa façon les liens qui l’attachaient au Maître certes, mais aussi et peut-être surtout à l’homme, avec les qualités humaines que tous ceux qui l’ont approché pouvaient lui reconnaître.
Malgré le lieu où nous nous réunissons et en dépit des réputations savantes des participants, c’est bien à l’homme lui-même, à l’ami, au proche, que vont s’adresser ces interventions.
Je remercie nos amis ici présents d’avoir accepté de prendre la parole dans des délais aussi brefs pour un hommage respectueux, amical et, j’ose le dire, affectueux.
Je me plais à penser que François Dagognet aurait apprécié qu’il en fût ainsi.
François Dagognet : réflexion et méditation, par Bernard Bourgeois
François Dagognet, le philosophe des parages, par Charles Coutel
Hommage à un maître, François Dagognet, par Robert Damien
François Dagognet (1924-2015) : faits et souvenirs, par Jean Gayon
François Dagognet, par François Guery
François Dagognet et l’enseignement secondaire de la philosophie, par Christiane Menasseyre
Formulaire de demande d’invitation / de demande de connexion pour visioconférence. Merci de remplir toutes les rubriques : les demandes incomplètes ne seront pas traitées.
Pour la séance du 16 novembre 2024, le dépôt des demandes sera ouvert jusqu’au 13 novembre Aucune demande postée au-delà de cette date ne recevra de réponse.
Notice mise à jour le 5 novembre 2022.
Septembre 2015 : lancement de la nouvelle version du site internet. La version initiale, lancée en 2006, est restée consultable en ligne jusqu’au 1er décembre 2015 ; nous l’avons archivée.
Cette nouvelle version « WordPress », dont la maquette s’inspire de la précédente (jeu de couleurs, graphisme, caractères), est adaptée aux évolutions récentes des plates-formes d’hébergement. Beaucoup plus maniable pour l’éditeur, elle offre au lecteur un bon confort de lecture et est aisément consultable sur smartphones et tablettes. La structure de l’ancien site (menus, rubriques) y est en grande partie reprise ainsi que l’ensemble de ses contenus.
Le site dédié aux Ateliers a également été rénové. Son contenu est inchangé.
Merci de nous signaler les éventuels dysfonctionnements et de nous faire part de vos suggestions en utilisant le formulaire de contact.
Catherine Kintzler, vice-présidente,
responsable du site et des publications électroniques de la SFP
Création du site internet
Mon’Bouc : www.monbouc.fr
Publication des trois séances de l’atelier « L’idée de science 2e année »
» La Société française de philosophie partage l’émotion suscitée dans le monde entier par les assassinats du 7 janvier à Charlie Hebdo, du 8 janvier à Montrouge et du 9 janvier à l’Hyper Cacher. Des artistes et des juifs ont été assassinés parce qu’ils étaient des artistes et parce qu’ils étaient des juifs, un professeur et un médecin ont été assassinés parce qu’ils étaient épris de liberté de pensée, des policiers ont été assassinés parce qu’ils défendaient un État laïque, et des malheureux ont été assassinés parce qu’ils se trouvaient là.
Mais la Société française de philosophie ne peut pas se contenter de déplorer ces morts absurdes. Ces crimes ont été commis au nom d’une religion, au nom de l’islam. Fidèle à sa tradition multiséculaire d’examen critique de ses croyances par chaque conscience libre, la Société française de philosophie invite ardemment les intellectuels de culture musulmane à développer publiquement la critique d’une telle justification religieuse de menées criminelles contre la liberté qu’est l’esprit et que tout citoyen français a le devoir absolu de défendre. La Société française de philosophie appelle de ses vœux que les Lumières de l’islam s’allument depuis la France. Alors, oui, nous serons vraiment tous Charlie. »
Séance du 12 octobre 2013
Conférences :
Table ronde :
Edité par VRIN
De quel amour blessé Bernard Mabille s’en est-il donc allé, si loin et si violemment séparé de nous ? On a retrouvé son corps sans vie devant l’Institut de philosophie, à Poitiers, au petit matin du jour où les professeurs devaient faire leur rentrée des classes, le 1er septembre 2014. Mais n’était-ce pas lui qui nous avait appris à reconnaître dans la philosophie un geste1, à la fois comme comportement et comme dit ? Comment pourrait-il en aller autrement de ce geste ultime, par lequel il montre à tout jamais leur borne auxnoirs vols du blasphème ? Mabille nous avait bien averti que le problème de la totalité est celui de son principe, et donc aussi, éventuellement, celui de son anarchie. Tel est le fil tendu dès sa grande thèse sur Hegel, » L’épreuve de la contingence « , parue en 19992. Dans son préambule, avant d’ouvrir la carte où il reporterait » les lieux » de la caducité (Zufälligkeit), il nous confiait à demi-mot (p. 11), l’existence de ce mal secret qui le rongeait déjà.
Il semble que la pensée de Mabille tournoie autour de l’énigme du sensible comme porteur de l’idéal de la raison, même si ces termes kantiens ne seraient peut-être pas les siens. Sa pensée ne pouvait manquer de prendre au moins l’une de ses sources dans le dialogue avec des poètes, tels Jacques Dupin3 ou Stig Dagermann4, dans l’œuvre desquels on doit aussi apercevoir des kindred spirits. Mais ce n’est pas là qu’elle a commencé ; peut-être plutôt d’abord dans un engagement politique, là même où sa mort nous laissera. En 19945, Mabille a commenté les §§ 315 à 318 des Principes de la philosophie du droit à propos de ce que doit être et de ce qui doit être pensé de l’opinion publique, seul milieu où la liberté immémoriale de l’esprit ait à se déployer, par l’effort obscur de toute part, vers ce qui l’alimente et le fait croître ensemble, en le faisant devenir esprit concret. Non, le Hegel de Mabille ne fut pas celui de Kojève, ni celui des administrateurs naguère si soucieux de » préparer une opinion à accepter des décisions prises sans elle » (p. 189). Mais si la subjectivité moderne doit être approuvée parce qu’elle n’accepte rien qui ne soit » justifié « , elle est digne de mépris si son seul critère est la satisfaction de la particularité individuelle. Par son contenu, l’opinion touche à la profondeur du principe substantiel ; par sa forme, elle est alourdie par tout ce qu’elle a de particulier et qui fait d’elle la première figure, peut-être la plus épouvantable, de la contingence.
Mabille a défendu Hegel, en sa liberté de penseur spirituel, contre la pesanteur où l’entraînait le pieux et invétéré psittacisme de ses commentateurs, lequel fut bien utile aussi à ses adversaires, plus prompts à débiter leurs fadaises qu’à lire avec soin le philosophe qu’ils avaient choisi comme repoussoir. On ne peut toutefois réprimer le souci d’une correspondance étrange entre le geste accompli par Mabille pour mourir et celui de Deleuze, encore si près de nous. Mais peut-être la mémoire de Jules Lequier est-elle une ombre plus importante encore aux alentours de toutes ces disparitions. N’est-ce pas le risque majeur depuis Socrate : être emporté par la violence qui fait rage depuis toujours entre le Philosophe et la Cité ?
Mais le Hegel de Mabille reste le penseur de la liberté aux prises avec l’existence ; c’est là que certaines filiations secrètes avec la pensée de Schelling sont les plus visibles. Certes, Mabille sera fidèle au dictat de Hegel concernant le Schelling de l’identité en cette fameuse nuit où » toutes les vaches sont grises « . Mais si Mabille ne semble pas avoir évoqué la première esquisse, chez Schelling, du geste hégélien, il ne saurait l’avoir ignorée, et c’est une joie de reconnaître jusque dans le style impeccable et limpide de ses phrases classiques, le secret d’une formation que Schelling avait prise pour foyer de tout son intérêt philosophique.
Une telle énigme ne commence peut-être ni avec Leibniz seulement, ni même avec Jakob Böhme, mais remonte sans discontinuer jusqu’à la Grèce de Socrate et Platon6. Tel est le deuxième grand » battant « , au sens des deux montants verticaux d’une fenêtre » à la française « , de l’œuvre de Mabille : la confrontation avec la pensée de Heidegger.
Cette confrontation a lieu d’abord pour conjurer une dernière fois les ultimes calomniateurs de Hegel, qui, le sachant ou non, s’autorisaient en fait de la pensée de Heidegger pour développer leurs propres concaténations de » pensées d’entendement « . Loin de tout face à face immédiat, le second grand livre de Mabille consiste à » intensifier deux lectures internes par le défi aporétique qu’apporte la position de tiers « ((Hegel, Heidegger et la métaphysique, Recherches pour une constitution, p. 28.)). Aurions-nous jamais pu retrouver la signature de Mabille ailleurs qu’en ce geste inoubliable de défi, en vue d’une constitution ? Et sous le titre de constitution, l’enjeu n’est-il pas clairement d’aider à discerner le bien commun, celui qui est en débat quand il s’agit de délibérer avec prudence ? Uneconstitution (Verfassung) désigne ce qui, aujourd’hui, dans tous les domaines, nous fait le plus grave défaut : un contenant essentiel (Fass), une capacité qui nous permette de vivre et donc de penser ensemble. La métaphysique doit nous permettre de repenser au principe, en tant que réminiscence, et aussi en tant qu’invention, comme Mabille nous l’aura si clairement enseigné dans sa lecture de Hegel. Et sur ce point, nous ne pouvons plus répéter, avec cette équivoque si particulière à Heidegger, que » tous les philosophes ont pensé lemême, et que c’est pour cela que leur pensée est en conflit »7.
Contre Heidegger, Mabille nous enseigne à lire la tradition autrement que pour » en libérer l’impensé « , c’est-à-dire autrement que sur un mode dogmatique (p. 370). » La relation avec la tradition est une libération « , écrit Mabille. Il s’agit de distinguer deux conceptions différentes du temps : l’une, celle de Hegel, correspond au primat du présent ; l’autre, celle de Heidegger, au primat de » l’avènementiel « . L’une nous permet de penser l’unité de la pensée humaine, l’autre au contraire nous l’interdit. Le problème central concerne donc le sens de l’histoire, celle des hommes et aussi celle de la philosophie. Heidegger au fond, replie Hegel sur Leibniz en l’accusant d’éliminer la temporalité » dans un processus historique qui n’est que la forme narrative de l’éternité »8. Hegel au contraire fait de la temporalité » le milieu de la présentation du vrai »9, et c’est avec le sens de cette limite essentielle que Mabille s’explique.
Mabille écrivait en faveur d’une nouvelle constitution de la métaphysique, par un geste où nous devons reconnaître celui de la liberté philosophique autant que du courage politique et simplement humain. Comment ne pas souhaiter qu’une telle œuvre témoigne toujours et pour le plus grand nombre en faveur de la philosophie éternelle qu’elle aura servie avec une telle liberté ?