La pensée japonaise à l’orée du XXIe siècle (par Tomonobu Imamichi)
Conférence du 20 novembre 2004, par Tomonobu Imamichi
1. – D’après la carte géographique de Ptolémée, l’est de la Chine est la limite de l’Extrême Orient ; au-delà, c’est la « terra incognita ». À la période hellénistique, le Japon fut ignoré par l’Occident. Aujourd’hui, le Japon est surtout connu pour sa puissance économique ou politique, et notamment technologique. À mon avis et à mon grand regret, le Japon reste une « terra incognita » pour ce qui est de la philosophie comme activité de l’esprit dans le monde contemporain. En ce début du XXIe siècle, je voudrais souligner quelques thèses importantes, voire stimulantes, de la pensée japonaise. Pour cela, je vais me livrer à une étude comparée et réfléchir en philosophe sur divers éléments linguistiques.
2. – Cosmogonie et histoire. Chez nous au Japon, il n’y eut pas de cosmogonie proprement créatrice ; le mythe de la genèse du cosmos s’apparente à l’autogénération végétative. En général, l’humanité est située à ce niveau à l’intérieur de la nature. Le concept de la persona comme dignité humaine a été tout à fait inconnu ; la valeur de l’individu en tant que personne n’a pas été assez considérée. À la place du moi, il y a le « nous » (forme plurielle d’ego). Le culte du « nous » dans la société close au Japon est comme l’ombre projetée par le collectivisme des existences végétatives. Cependant, à la place de la persona, on a cultivé, dès l’Antiquité, la vertu de responsabilité dans la société close du « nous ». En Occident, le mot responsabilité n’a été forgé qu’au XVIIe siècle.
3. – Réflexion philosophique et formes linguistiques. a) L’analogia entis, qui a toujours été un problème caractéristique de la pensée occidentale, ne peut être exprimée dans plusieurs langues orientales : en effet, dans ces langues, il existe une différence claire et distincte, du point de vue linguistique, entre le verbe « être » au sens ontologique et le verbe « être » servant de copule. Au lieu de l’analogie de l’être, l’analogie du néant peut être analysée, comme dans le cas de Nishida. b) En Occident, le concept qui s’oppose au néant est naturellement l’être ; mais en Orient, c’est Yao (avoir), selon la tradition chinoise qui a beaucoup influencé la forme japonaise du bouddhisme et du confucianisme. Avoir en tant que Yao peut être utile pour l’interprétation « échontologique » (la forme echôn, du verbe grec echein) : en l’occurrence, le verbe avoir concerne le « il » de « il y a », selon la réaction d’Emmanuel Levinas. Je suis heureux et honoré d’avoir été invité par la Société française de philosophie à présenter plusieurs thèses que j’ai développées dans mes travaux.
Tomonobu Imamichi, professeur émérite à l’université de Tokyo (Japon), président honoraire de l’Institut international de philosophie