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Logique et philosophie (par Elisabeth Schwartz)

Conférence du 21 mai 2005, par Elisabeth Schwartz

Faut-il à la logique aujourd’hui une philosophie ? Et le faut-il en un sens aussi nécessaire que dans les grands systèmes qui ont vu en elle un élément essentiel, voire constitutif, ou bien faudrait-il avec

Elisabeth Schwartz
Elisabeth Schwartz

l’avènement de la logique mathématique se résoudre à limiter l’intervention philosophique en logique au seul plan d’une épistémologie ? Epistémologie qui a pu recevoir au XXe siècle ses titres de noblesse, mais qu’une tradition aujourd’hui vivante dans toute la sphère dite analytique, a pu justement juger devenue inutile du fait de l’avènement de cette nouvelle logique ,qui la reconduirait au non sens ou à une vérité uniquement psychologique…

Il n’est peut-être pas assez tard, et le jour n’est peut-être pas encore tombé sur ce nouveau mariage de la logique avec la philosophie, pour qu’on puisse oser une réponse à cette question qui nous semble cependant bien actuelle ,On se propose de limiter la réflexion à quelques grandes heures de ce mariage, choisies en tant que déjà suffisamment éloignées de notre présent mais exemplaires, on le croit, des choix qu’il impose, ou devrait imposer à la raison philosophante.

Frege et Russell ont, chacun à leur manière, proposé de penser ce nouveau régime . Il est usuel d’y reconnaître les éléments d’une redéfinition de la philosophie du concept et de la question du réalisme. C’est aussi l’intervention de cette nouvelle logique qui creuse, au sein d’une même attention au renouveau des mathématiques, d’un large accord sur la question du psychologisme, ou de la critique des philosophies transcendantales kantienne et néo-kantienne, la différence des philosophies  » logicistes  » avec la phénoménologie husserlienne.

Cette étape dogmatique était solidaire d’une certaine conception de l’universalisme logique en ses rapports avec la formalisation mathématique, qu’il est apparu nécessaire de retravailler à la génération d’un Carnap et d’un Gödel, dont les résultats devaient si irréversiblement ébranler les imprudentes prédictions husserliennes en philosophie, et poser à la logique la question de l’internalisation de sa syntaxe. Mais ,à la philosophie de Carnap d’abord accordée avec le principe méthodologique husserlien de suspension de l’attitude naturelle ,la logique qui a d’abord donné une alternative non transcendantale, non subjective, à la tâche de constitution , offrira assez vite aussi ,et ce sera consacré par la réception américaine de l’œuvre, les moyens d’un renouvellement de la définition de l’empirisme. Logique, et à la gloire de la science, mais empirisme tout de même, et non pas rationalisme.

La mise à distance du rationalisme, qu’il soit confondu avec le subjectivisme empirique, comme l’est alors aussi l’idéalisme, ou réputé  » naïf « , indicible, ou inaccessible à titre de question externe à l’exercice formalisant de la logique elle-même, pose à la philosophie issue de la nouvelle logique la question de la possibilité d’une définition, ou même d’une pratique, de ce qu’il convient encore ou non de nommer la Raison.. Il y a quelques raisons de voir dans le Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein les éléments d’un nouveau scepticisme, entendu en la radicalité de ses formes antiques, et qu’on proposerait de nommer cette fois non plus empirisme mais scepticisme logique. Non sans remarquer que ce thème entre en tension chez ce philosophe ,en ceci très différent de Carnap, avec les exigences d’une philosophie pratique, qui ne peut selon lui s’inscrire dans le cadre de la seule forme du monde des faits.

C’est donc en définitive cette question de l’apport de la logique mathématique à un renouveau du rationalisme, qui devrait se poser pour finir, si l’essor des  » méthodes logiques  » en philosophie , loin de travailler à ce renouveau , hésite aujourd’hui souvent entre un positivisme pragmatique de leur application aux œuvres de la science ou de l’action , et une conviction austère mais condamnée au silence philosophique , quelque hanté qu’il soit en son indécision par la mémoire d’une histoire pour laquelle il existe une nécessité de l’intelligible entendu comme l’autre face de la liberté de l’esprit.

Elisabeth Schwartz est professeur à l’Université de Clermont-II

Bulletin 2005 99 4