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Tristes réalismes. Exploration d’un tropisme philosophique contemporain (par Isabelle Thomas-Fogiel)

Conférence du 18 mars 2017, Sorbonne, amphithéâtre Edgar Quinet

par Isabelle Thomas-Fogiel

 

La réflexion proposée dans cette conférence prend sa source dans un étonnement, voire une stupéfaction, face à la configuration de la philosophie de ces trente dernières années. En effet, la production philosophique paraît s’y réduire à une unique revendication, que l’on pourrait résumer par cette injonction lancée aux enfants du siècle : « Faites-vous réalistes ». Et de fait, qu’il faille être réaliste, et non plus relativiste comme dans les années 60, semble ne plus faire de doute pour bon nombre de philosophes aujourd’hui. Citons, à cet égard, quelques titres  récents, extraits de la production italienne, française et anglo-américaine, soit, Ferraris : Le manifeste du nouveau réalisme ; Romano : Pour un réalisme du monde de la vie ; Putnam : Le réalisme à visage humain ; Diamond : L’esprit réaliste ; Benoist : Eléments de philosophie réaliste ; Meillassoux, Brassier, Grant et Harman : Le tournant spéculatif, réalisme et matérialisme continental ou encore Tiercelin : Petit traité de métaphysique réaliste scientifique, tous titres que condense, au final, un collectif allemand de 2013 : Le réalisme maintenant ! Or, sauf à postuler que ces auteurs revendiquent le terme de « réalisme » sans autre finalité que d’ornement, ou encore à démontrer qu’une autre notion fédère une quantité aussi importante de textes aujourd’hui, il semble difficile, pour l’historien de la philosophie, de ne pas s’interroger sur ce phénomène de cristallisation, qui est d’autant plus étonnant que ses origines sont à ce point multiples (de la phénoménologie à la philosophie du langage ordinaire, en passant par la métaphysique analytique comme continentale) qu’il transcende les grandes partitions qui ont structuré, depuis l’après-guerre, notre paysage philosophique (telle, celle entre analytique et continentale). C’est ce phénomène de cristallisation qui sera l’objet de mon étude.

Trois questions seront ainsi posées : tout d’abord, que signifie, pour ceux qui le revendiquent aujourd’hui, le terme « réalisme », ou, pour le dire autrement, quels sont les actes fondamentaux qui, par-delà la diversité des approches, sont communs à tous et donnent quelque consistance à l’appellation affichée ? Peut-on, ensuite, à partir de l’analyse de ces principes structurels qui délimitent la sphère du réalisme contemporain, en repérer les apories, ou pour le dire de manière moins négative, dessiner les interrogations que suscite cette actuelle configuration, interrogations qui peuvent être conçues comme autant de pistes de recherche pour qui voudrait affermir, ou à l’inverse critiquer, cette nouvelle constellation conceptuelle? Enfin, ces problèmes rencontrés ne nous conduisent-ils pas à revenir sur la définition de la vérité unanimement mise en avant par les actuels réalistes ? Cette définition, arrimant la vérité à la seule réalité, semble occulter l’un des autres visages de la vérité, à savoir l’universalité. Cette occultation, pour être partagée aujourd’hui, n’en est pas moins philosophiquement problématique en ce qu’elle génère de multiples contradictions au sein même des doctrines qui entendent faire l’économie de l’universel. Peut-on vraiment abandonner la notion d’universalité ? Peut-on, d’ailleurs, la caractériser et en spécifier la dynamique ? Questions qui nous entraîneront, à terme, à tenter de comprendre comment les philosophes sont moins des montreurs de réel que des architectes de l’universel.

Isabelle Thomas-Fogiel est professeur à l’université d’Ottawa (détachée université Paris-I). Voir sa page web sur le site de l’université d’Ottawa. Voir sa page web personnelle.

Conférence et discussion publiées dans le Bulletin n° 2017 111 2.