Esquisse d’une théorie de la religion (par Jean Baechler)
Conférence du 6 juin 2009 par Jean Baechler
Une science des religions peut et doit choisir entre deux hypothèses, dont elle puisse déduire les propositions à tester sur les faits, de manière à conduire à des explications plausibles de ceux-ci. Selon l’hypothèse mondaine, dans ses variantes sociologiques ou psychologiques, la religion est un artefact culturel ou psychique, remplissant des fonctions profanes repérables, et les religions les traces laissées, dans la documentation historique, par l’imagination et l’ingéniosité humaines à en procurer les moyens. La thèse postule l’inanité et la vanité de ce dont le religieux, la religion et les religions se réclament unanimement, à savoir un ou des principes à statut extra- et suprahumain. L’hypothèse métaphysique est agnostique ; elle tient que la revendication religieuse peut être vraie ou fausse et que toute théorie prétendant à la vérité doit inclure ce dilemme indécidable, sans compromettre, pour autant, la vérifiabilité des propositions énoncées sur les phénomènes religieux.
L’adoption de l’hypothèse métaphysique impose à la science des religions de combiner en une démarche unifiée les trois points de vue de la philosophie, de la sociologie et de l’histoire. La philosophie est mobilisée par l’ancrage de l’hypothèse dans un syllogisme, portant que le contingent implique l’absolu et que celui-ci peut donner lieu à trois interprétations radicalement différentes. Selon l’une, l’Absolu est le Créateur de toutes les créatures. Selon une autre, Il est l’Émanateur dont émanent tous les émanats. Selon une dernière, l’absolu est l’ensemble potentiellement infini des devenants en Devenir perpétuel. La dernière interprétation est séculière, alors que les deux premières sont religieuses. De là, il devient possible de déduire les éléments psychiques et les composants sociaux indispensables au religieux, pour s’effectuer dans la réalité sous les apparences de la religion et des religions.
La philosophie en appelle alors à la sociologie, pour repérer, classer et interpréter les solutions, en termes d’actions, de cognitions et de factions, que les religions ont apportées aux problèmes posés par l’effectuation de la religion dans des contextes culturels variés. Le point de vue sociologique permet d’inclure dans la théorie l’hypothèse mondaine, en montrant que la religion et les religions sont éminemment parasitables au service des objectifs profanes les plus variés. La sociologie doit dès lors passer le relais théorique à l’histoire. Celle-ci s’attache à deux développements complémentaires. L’un se préoccupe de suivre et d’expliquer le cours suivi par une religion dans la réalité historique. L’autre cherche à vérifier, si, à l’échelle des millénaires et à travers des développements chaotiques, l’histoire religieuse de l’humanité ne trouverait pas un sens objectif dans l’émergence, la consolidation et l’imposition des deux religions ou des deux pôles religieux suggérés par la métaphysique, l’un transcendant et l’autre immanent.
Voir la notice bio-bibliographique de Jean Baechler, membre de l’Institut.