About SFP

n°2005 4 : Les stoïciens et le monde

Numéro coordonné par Thomas Bénatouïl et Pierre-Marie Morel

Sommaire

Thomas Bénatouïl et Pierre-Marie Morel : Présentation
David Sedley : Les origines des preuves stoïciennes de l’existence de dieu
Suzanne Bobzien : Early Stoic Determinism
Valéry Laurand : La sympathie universelle : union et séparation
Thomas Bénatouïl : Echelle de la nature et division des mouvements chez Aristote et les stoïciens
Jean-Baptiste Gourinat : Le traité de Chrysippe Sur l’âme
Gretchen Reydams-Schils : Le sage face à Zeus. Logique, éthique et physique dans le stoïcisme impérial

Edité par PUF
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n°2005 2 : Wittgenstein et les sciences

Juin 2005
Numéro dirigé par Christiane Chauviré

Sommaire

Christiane Chauviré : Liminaire
Christiane Chauviré : Wittgenstein, les sciences et l’ épistémologie aujourd’ hui
Pierre Wagner : Wittgenstein et les machines de Turing
Élie During, Ni  » pure  » ni  » appliquée  » : les usages de la géométrie chez Wittgenstein et Poincaré
Ludovic Soutif : La signification de Nicod pour la phénoménologie de Wittgenstein
Michel Le Du : Formes  » a priori  » et formes de connaissance
Élise Marrou : Entre dogme et doute, quelques certitudes : Malcolm et Wittgenstein, lecteurs critiques de Moore
Philippe Narboux : L’ exemplarité de la preuve mathématique selon Wittgenstein

Edité par PUF
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n°2005 1 : Repenser les structures

Mars 2005

Numéro dirigé par Guy-Félix Duportail

Sommaire

Guy-Félix Duportail : Présentation. Repenser les structures
Etienne Balibar : Le structuralisme, une destitution du sujet ?
Guy Félix Duportail : Sur le lien ultime de la psychanalyse à la philosophie
Jocelyn Benoist : Du bon usage de la structure
Bernhard Waldenfels : Normalité et normativité : entre phénoménologie et structuralisme
Gabriella Crocco : Méthode structurale et systèmes philosophiques
Patrice Maniglier : Des us et des signes. Lévi-Strauss : philosophie pratique

Varia

Florent Guénard : La liberté et l’ordre public : Diderot et la bonté des lois
Jean Salem : Critiques de la démocratie parlementaire dans la Russie de la fin du XIXe siècle : Constantin Pétrovitch Pobedonostev, théoricien de l’autocratie.

Edité par PUF
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L’instrument de musique à l’intersection de l’art et de la technique (par Bernard Sève)

Conférence du 30 mai 2015, par Bernard Sève

Bernard SèveLa musique est le seul art, remarque Hegel, qui doive produire son matériau (le son musical, qui n’est pas le son du monde) ; elle doit donc préalablement fabriquer des objets destinés à produire ce matériau. Ce sont les instruments de musique, qui n’ont aucun équivalent ou correspondant dans les autres arts. Condition de la musique, l’instrument n’est pourtant pas une œuvre d’art au sens complet de cette notion (encore que sa beauté plastique ne soit pas réductible à une ornementation de surface) ; le luthier, qui le fabrique, n’est pas considéré comme un artiste de plein droit, quoique sans lui la musique n’existerait pas (l’objection de la musique a cappella n’est pas ignorée). L’instrument de musique est pleinement un objet technique, mais il est difficile à classer selon les distinctions d’Aristote ou de Simondon. L’instrument de musique est en effet fonctionnellement sous-déterminé, ce qui est un des éléments d’explication du nombre prodigieux d’instruments inventés et fabriqués par l’humanité (le Grove Dictionary of Musical Instruments recense 12.000 types d’instruments, alors même qu’il ne prend pas en compte les instruments  » monstrueux  » ou inutilisés). À l’intersection de l’histoire des arts et de l’histoire des techniques, l’instrument de musique offre un point d’appui empirique et conceptuel remarquable pour problématiser les ressorts de l’invention artistique et technique, non moins que pour articuler les logiques divergentes de ces deux formes d’histoire.

Bernard Sève est professeur à l’université Charles de Gaulle Lille 3.

Conférence publiée, Bulletin 2015 109 3

Descartes : l’expérience et la raison (par Mariafranca Spallanzani)

Conférence du 21 mars 2015, par Mariafranca Spallanzani

« Je ne mettrai rien dont l’expérience et la raison ne m’aient rendu certain »
Epître à la Sérénissime Princesse Elisabeth

Mariafranca Spallanzani
Mariafranca Spallanzani

1.Paradoxe. Peut-on examiner la philosophie de Descartes sub specie experientiæ ? Peut-on relire sa philosophie au fil de l’expérience ? L’entreprise a tout l’air d’un paradoxe : la philosophie de Descartes a été interprétée dans la tradition comme une philosophie a priori et comme un système agencé selon l’ordre des raisons plutôt que selon les données de l’expérience. Pourtant certaines voix de la tradition et d’autres, plus contemporaines, n’ont pas manqué de souligner l’importance de cette notion, dont elles ont examiné la richesse thématique et la plasticité théorique. Rappelons la tentative d’Octave Hamelin, qui avait souligné au sein de la philosophie de Descartes la présence et l’importance de l’expérience, « une expérience bien définie » qui porte sur des notions distinctes et qui se configure comme « une espèce d’intuition »1 ; rappelons l’interprétation de Robert Lenoble qui avait parlé d’un  » réalisme empirique  » de Descartes subordonné à des conditions contrôlables dans l’ordre du savoir2. Evoquons enfin la thèse de Jean Laporte, qui était allé jusqu’à présenter la philosophie de Descartes comme  » un empirisme radical et intégral  »3. Quant aux interprètes plus récents, certains n’ont pas hésité à faire de la notion d’expérience la notion centrale de la philosophie et de la science cartésiennes. Citons, sans souci d’exhaustivité, les noms de Desmond Clarke, Daniel Garber, Nicolas Grimaldi, Amelie Oxenberg Rorty, David Dennis, S. Werret, Alberto Pala, Vincent Aucante, Pierre Guenancia, Denis Kambouchner, Sophie Roux, Frédéric de Buzon, Christopher Braiden, Odette Barbero.

2. Empirisme et rationalisme Enfin, tout se passe comme si la notion d’expérience chez Descartes permettait de reformuler les distinctions philosophiques traditionnelles : celles qui opposent empirisme, rationalisme et éclectisme. Or ces notions, Victor Cousin les avait forgées à partir de la philosophie de Descartes, autorisé, d’une certaine façon, par certaines de ses affirmations qui avaient posé un divorce irréductible entre raison est expérience, consacrant la primauté de la connaissance intellectuelle, établie a priori au-delà de tout doute raisonnable.

3. Aporie ? Certes, chez Descartes la philosophie première fondée sur l’évidence intellectuelle est une instance de fondation ; certes, le modèle mécaniste de l’univers structuré selon des chaînes de déductions ne s’impose pas comme un fait, mais comme une explication des faits ; certes, la conception du corps-machine dérive de l’assomption d’un dualisme fonctionnel fondé sur les idées claires d’étendue et d’âme. Et pourtant une lecture des textes cartésiens qui suit l’exercice de la raison plus que l’ordre déductif des raisons ne saurait refuser les prérogatives de l’expérience. Dans la métaphysique, qui est une expérience performative de la vérité, l’expérience de la présence de l’idée claire et simple ne coïncide-t-elle pas avec la chose elle-même ? Dans la connaissance scientifique, l’expérience de certitude n’est-elle pas l’instrument de validation du modèle hypothétique ? C’est par la seule expérience, et non « par la force du raisonnement » que Descartes pense son établissement. La morale ne renvoie-t-elle pas elle aussi à l’expérience certaine de l’illimitation de la liberté ? L’anthropologie ne nous octroie-t-elle pas « l’expérience très évidente » de l’union d’âme et de corps dans l’homme ? Et enfin n’est-ce pas une expérience de pensée qui permet à Descartes de formuler les hypothèses métaphysiques des doutes hyperboliques sur l’origine et le statut de la raison humaine, le Dieu trompeur et le génie malin ? Ce sont bien sûr ces expériences paradoxales mais « inéluctables » de la philosophie moderne que se joue la conquête d’autonomie philosophique de la raison par la mise en question de son origine4.

Mariafranca Spallanzani est professeur associé à l’université de Bologne. Page web.

Conférence publiée, Bulletin 2015 109 2

  1. O. Hamelin, Le système de Descartes, Paris, Alcan, 1911. []
  2. R. Lenoble, Mersenne, ou la naissance du mécanisme, Paris, Vrin, 1943. []
  3. J. Laporte, Le rationalisme de Descartes, Paris, PUF, 1945. []
  4. H. Blumenberg, Die Legitimität des Neuzeit, Frankfurt/Main, Suhrkamp, 1988 (1966, 1974 ; trad. fr. La Légitimité des Temps modernes, Paris, Gallimard, 1999). []

Déclaration après les assassinats des 7, 8 et 9 janvier 2015

» La Société française de philosophie partage l’émotion suscitée dans le monde entier par les assassinats du 7 janvier à Charlie Hebdo, du 8 janvier à Montrouge et du 9 janvier à l’Hyper Cacher. Des artistes et des juifs ont été assassinés parce qu’ils étaient des artistes et parce qu’ils étaient des juifs, un professeur et un médecin ont été assassinés parce qu’ils étaient épris de liberté de pensée, des policiers ont été assassinés parce qu’ils défendaient un État laïque, et des malheureux ont été assassinés parce qu’ils se trouvaient là.

Mais la Société française de philosophie ne peut pas se contenter de déplorer ces morts absurdes. Ces crimes ont été commis au nom d’une religion, au nom de l’islam. Fidèle à sa tradition multiséculaire d’examen critique de ses croyances par chaque conscience libre, la Société française de philosophie invite ardemment les intellectuels de culture musulmane à développer publiquement la critique d’une telle justification religieuse de menées criminelles contre la liberté qu’est l’esprit et que tout citoyen français a le devoir absolu de défendre. La Société française de philosophie appelle de ses vœux que les Lumières de l’islam s’allument depuis la France. Alors, oui, nous serons vraiment tous Charlie.  »

n°2014 108 2L’Encyclopédie et nous

Séance du 12 octobre 2013

Conférences :

  • Francine Markovits : « L‘Encyclopédie : doctrine ou débats ? »
  • Bernard Bourgeois : « L’encyclopédie hégélienne et son actualité »

Table ronde :

  • Arthur Cohen : « Diderot et la serpe ostrogothe. La propriété intellectuelle à l’épreuve »
  • Marc Parmentier : « Wikipedia : une communauté d’encyclopédistes ? »
  • Bertrand Saint-Sernin : « Transformations de la rationalité de l‘Encyclopédie à Cournot »

Voir le résumé.

Edité par VRIN

Les questions de la vivisection au XVIIIe siècle (par François Delaporte)

Conférence du 24 janvier 2015, par François Delaporte

François Delaporte
François Delaporte

Sur un versant, la critique du système pénal a permis l’apparition de la vivisection animale dans le champ de la perception sociale. Il suffit de voir le corps du condamné dans la bête sacrifiée pour que l’on prête un tel pouvoir d’évocation aux expériences vivisectrices. Sur un autre versant, quelques philosophes ont proposé un programme audacieux : étendre les vivisections aux criminels. Cette idée fut largement divulguée dans l‘Encyclopédie. Que l’aversion pour la vivisection animale exprime l’horreur du châtiment sans que l’on soit pour autant hostile aux vivisections humaines, c’est le paradoxe qu’il faudra dissiper.

Bulletin 2015 109 1

In Memoriam Bernard Mabille, par Elisabeth Kessler

De quel amour blessé Bernard Mabille s’en est-il donc allé, si loin et si violemment séparé de nous ? On a retrouvé son corps sans vie devant l’Institut de philosophie, à Poitiers, au petit matin du jour où les professeurs devaient faire leur rentrée des classes, le 1er septembre 2014. Mais n’était-ce pas lui qui nous avait appris à reconnaître dans la philosophie un geste1, à la fois comme comportement et comme dit ? Comment pourrait-il en aller autrement de ce geste ultime, par lequel il montre à tout jamais leur borne auxnoirs vols du blasphème ? Mabille nous avait bien averti que le problème de la totalité est celui de son principe, et donc aussi, éventuellement, celui de son anarchie. Tel est le fil tendu dès sa grande thèse sur Hegel,  » L’épreuve de la contingence « , parue en 19992. Dans son préambule, avant d’ouvrir la carte où il reporterait  » les lieux  » de la caducité (Zufälligkeit), il nous confiait à demi-mot (p. 11), l’existence de ce mal secret qui le rongeait déjà.

Il semble que la pensée de Mabille tournoie autour de l’énigme du sensible comme porteur de l’idéal de la raison, même si ces termes kantiens ne seraient peut-être pas les siens. Sa pensée ne pouvait manquer de prendre au moins l’une de ses sources dans le dialogue avec des poètes, tels Jacques Dupin3 ou Stig Dagermann4, dans l’œuvre desquels on doit aussi apercevoir des kindred spirits. Mais ce n’est pas là qu’elle a commencé ; peut-être plutôt d’abord dans un engagement politique, là même où sa mort nous laissera. En 19945, Mabille a commenté les §§ 315 à 318 des Principes de la philosophie du droit à propos de ce que doit être et de ce qui doit être pensé de l’opinion publique, seul milieu où la liberté immémoriale de l’esprit ait à se déployer, par l’effort obscur de toute part, vers ce qui l’alimente et le fait croître ensemble, en le faisant devenir esprit concret. Non, le Hegel de Mabille ne fut pas celui de Kojève, ni celui des administrateurs naguère si soucieux de  » préparer une opinion à accepter des décisions prises sans elle  » (p. 189). Mais si la subjectivité moderne doit être approuvée parce qu’elle n’accepte rien qui ne soit  » justifié « , elle est digne de mépris si son seul critère est la satisfaction de la particularité individuelle. Par son contenu, l’opinion touche à la profondeur du principe substantiel ; par sa forme, elle est alourdie par tout ce qu’elle a de particulier et qui fait d’elle la première figure, peut-être la plus épouvantable, de la contingence.

Mabille a défendu Hegel, en sa liberté de penseur spirituel, contre la pesanteur où l’entraînait le pieux et invétéré psittacisme de ses commentateurs, lequel fut bien utile aussi à ses adversaires, plus prompts à débiter leurs fadaises qu’à lire avec soin le philosophe qu’ils avaient choisi comme repoussoir. On ne peut toutefois réprimer le souci d’une correspondance étrange entre le geste accompli par Mabille pour mourir et celui de Deleuze, encore si près de nous. Mais peut-être la mémoire de Jules Lequier est-elle une ombre plus importante encore aux alentours de toutes ces disparitions. N’est-ce pas le risque majeur depuis Socrate : être emporté par la violence qui fait rage depuis toujours entre le Philosophe et la Cité ?

Mais le Hegel de Mabille reste le penseur de la liberté aux prises avec l’existence ; c’est là que certaines filiations secrètes avec la pensée de Schelling sont les plus visibles. Certes, Mabille sera fidèle au dictat de Hegel concernant le Schelling de l’identité en cette fameuse nuit où  » toutes les vaches sont grises « . Mais si Mabille ne semble pas avoir évoqué la première esquisse, chez Schelling, du geste hégélien, il ne saurait l’avoir ignorée, et c’est une joie de reconnaître jusque dans le style impeccable et limpide de ses phrases classiques, le secret d’une formation que Schelling avait prise pour foyer de tout son intérêt philosophique.

Une telle énigme ne commence peut-être ni avec Leibniz seulement, ni même avec Jakob Böhme, mais remonte sans discontinuer jusqu’à la Grèce de Socrate et Platon6. Tel est le deuxième grand  » battant « , au sens des deux montants verticaux d’une fenêtre  » à la française « , de l’œuvre de Mabille : la confrontation avec la pensée de Heidegger.

Cette confrontation a lieu d’abord pour conjurer une dernière fois les ultimes calomniateurs de Hegel, qui, le sachant ou non, s’autorisaient en fait de la pensée de Heidegger pour développer leurs propres concaténations de  » pensées d’entendement « . Loin de tout face à face immédiat, le second grand livre de Mabille consiste à  » intensifier deux lectures internes par le défi aporétique qu’apporte la position de tiers « ((Hegel, Heidegger et la métaphysique, Recherches pour une constitution, p. 28.)). Aurions-nous jamais pu retrouver la signature de Mabille ailleurs qu’en ce geste inoubliable de défi, en vue d’une constitution ? Et sous le titre de constitution, l’enjeu n’est-il pas clairement d’aider à discerner le bien commun, celui qui est en débat quand il s’agit de délibérer avec prudence ? Uneconstitution (Verfassung) désigne ce qui, aujourd’hui, dans tous les domaines, nous fait le plus grave défaut : un contenant essentiel (Fass), une capacité qui nous permette de vivre et donc de penser ensemble. La métaphysique doit nous permettre de repenser au principe, en tant que réminiscence, et aussi en tant qu’invention, comme Mabille nous l’aura si clairement enseigné dans sa lecture de Hegel. Et sur ce point, nous ne pouvons plus répéter, avec cette équivoque si particulière à Heidegger, que  » tous les philosophes ont pensé lemême, et que c’est pour cela que leur pensée est en conflit  »7.
Contre Heidegger, Mabille nous enseigne à lire la tradition autrement que pour  » en libérer l’impensé « , c’est-à-dire autrement que sur un mode dogmatique (p. 370).  » La relation avec la tradition est une libération « , écrit Mabille. Il s’agit de distinguer deux conceptions différentes du temps : l’une, celle de Hegel, correspond au primat du présent ; l’autre, celle de Heidegger, au primat de  » l’avènementiel « . L’une nous permet de penser l’unité de la pensée humaine, l’autre au contraire nous l’interdit. Le problème central concerne donc le sens de l’histoire, celle des hommes et aussi celle de la philosophie. Heidegger au fond, replie Hegel sur Leibniz en l’accusant d’éliminer la temporalité  » dans un processus historique qui n’est que la forme narrative de l’éternité  »8. Hegel au contraire fait de la temporalité  » le milieu de la présentation du vrai  »9, et c’est avec le sens de cette limite essentielle que Mabille s’explique.

Mabille écrivait en faveur d’une nouvelle constitution de la métaphysique, par un geste où nous devons reconnaître celui de la liberté philosophique autant que du courage politique et simplement humain. Comment ne pas souhaiter qu’une telle œuvre témoigne toujours et pour le plus grand nombre en faveur de la philosophie éternelle qu’elle aura servie avec une telle liberté ?

  1. Philosophie première et pensée principielle, in Le Principe, éd. B. Mabille, Vrin, 2006, p. 18, n.2. []
  2. Rééd. en 2013, chez Hermann. []
  3. Une pensée singulière. Mélanges offerts à J.F. Marquet, éd. P. David et B. Mabille, l’Harmattan, 2003. []
  4. Stig Dagermann ou les Incertitudes d’un engagement, sous le pseudonyme de Georges Überschlag, revue Germanica, 1992. []
  5. Le Pouvoir, éd. Bernard Mabille et J.C. Goddard, 1994. []
  6. Bernard Mabille, Hegel, Heidegger et la métaphysique, Recherches pour une constitution, Vrin, 2004, passim et en particulier p. 37. []
  7. Identität und Differenz : « L’affaire de la pensée est ce qui en soi est le litigieux d’un litige, das in sich Strittige eines Streites » ). Et aussi : Schelling, Niemeyer Verlag, Tübingen, 1995, p. 15. []
  8. Hegel, Heidegger et la métaphysique, Recherches pour une constitution, Paris, Vrin, 2004, p. 368. []
  9. Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, § 14. []

Cité naturelle et cité juste dans La République de Platon (par Michel Narcy)

Conférence du 22 novembre 2014, par Michel Narcy.

Michel Narcy
Michel Narcy

Ce n’est qu’à partir du livre II que La République de Platon mérite son titre. Requis par Glaucon et Adimante, les deux demi-frères de Platon, de fonder la démonstration de la supériorité de la justice sur l’essence de celle-ci, et non sur les avantages qui pourraient lui être attachés, Socrate déplace le problème, de l’âme, à la cité, au motif que la différence d’échelle rend la justice plus lisible dans la cité. À l’inverse de Rousseau qui, plus tard, cherchera dans la constitution des premières sociétés l’origine de l’inégalité, c’est donc dans la façon dont se constitue une cité que Socrate va montrer comment y survient la justice. Rien d’étonnant à cela : la cité est à ses yeux connaturelle à l’homme. Nul n’étant capable de satisfaire seul la pluralité de ses besoins, la vie de chacun dépend du concours d’autrui, d’où la nécessité de l’association, heureusement favorisée par la nature qui, diversifiant ses dons à l’égal des besoins, rend l’un apte à telle tâche, l’autre à telle autre. C’est donc du règne des besoins que découle pour l’homme la vie en société, et de l’inventaire de ces besoins que Socrate déduit la formation d’une cité vouée à leur satisfaction, sans plus : une fois assuré le strict nécessaire, nourriture, habitat, vêtement, le tout sous la forme la plus simple, Socrate tient sa construction pour achevée. À cette simplicité déductive, Glaucon oppose les faits : la cité dans laquelle nous vivons n’est pas celle-là, mais une cité où l’on dort dans des lits, où l’on s’assied à table pour goûter des plats cuisinés, des friandises, etc. Pour le dire en termes plus modernes, si, à l’état de nature, la société humaine est telle que la dépeint Socrate, nous en sommes bien éloignés. Fût-elle cependant dénaturée, c’est dans la société qui est la nôtre qu’il importe de savoir ce qu’est la justice, pas dans une société dont on ne trouve pas trace. C’est de cette objection de Glaucon que prend son élan la construction par Socrate de ce qu’on tient pour la cité idéale de Platon. Il convient de noter cependant que Socrate ne s’engage pas dans cette entreprise sans avoir réitéré sa conviction que  » la vraie cité « , c’est celle qu’il a décrite,  » en tant précisément qu’elle est en bonne santé « . Par contraste, la cité dont veut entendre parler Glaucon, à savoir la nôtre, est une cité  » enfiévrée « , malade. Où il apparaît que le vrai sujet de La République, s’il est d’exposer les moyens d’instaurer la justice dans cette cité malade, est en réalité de la guérir. Mais la guérir n’est pas la ramener à l’état initial, l’état de nature, décrit par Socrate. En effet, ce n’est pas en en retranchant tout ce qui s’est ajouté à cet état initial qu’on la guérira, mais au contraire en lui ajoutant des éléments absents de la première cité : les gardiens et, sélectionnés parmi eux, les philosophes chargés de gouverner. En d’autres termes, le traitement recommandé par Socrate, ce n’est pas l’administration de purgatifs qui délivreraient la cité de ses humeurs malsaines, mais la pose de prothèses, dont la fabrication – je veux dire l’éducation des gardiens et des philosophes -, va constituer l’essentiel du propos à venir. D’où il ressort qu’ainsi appareillée, la cité juste ne présentera guère de ressemblance avec la cité naturelle dont elle est cependant supposée retrouver la santé. Une fois mise en lumière cette artificialité de la cité juste, on s’interrogera sur ce qu’on peut en conclure, d’une part sur le programme, si c’en est un, proposé par Platon, d’autre part sur la correspondance initialement invoquée par Socrate entre l’âme individuelle et la cité.
Michel Narcy est directeur de recherche émérite au CNRS (UPR76 Centre Jean Pépin, Villejuif)

Conférence publiée, Bulletin 2014 108 4.

La vie subalterne (par Guillaume Le Blanc)

Conférence du 24 mai 2014 par Guillaume Le Blanc

Prenant appui sur les études subalternes dont je voudrais mesurer l’apport à l’intérieur de la théorie critique contemporaine, en en circonscrivant la portée, je souhaiterais m’interroger sur la possibilité théorique d’un déplacement, offert dans le champ même des études subalternes, de la question coloniale à laquelle sont arrimées de telles études vers la question sociale. L’évaluation de la portée de ce déplacement (ainsi que la possibilité d’un va-et-vient entre ces deux questions) sera l’enjeu de ma conférence. Une nouvelle orientation en philosophie peut en résulter, s’attachant à rendre raison des vies ordinaires depuis leur propre difficulté à prendre la voix ou à être entendues. Cette difficulté à redonner voix aux sans-voix a été particulièrement mise en avant, dans l’argumentaire critique colonial, par la théoricienne Gayatri Chakravorty Spivak, sous le titre Les subalternes peuvent-elles parler? (1988). Critiquant les apports de la nouvelle théorie de l’intellectuel telle que formulée par Foucault ou par Deleuze, elle réfute l’argument politique et éthique de la nécessité de parler au nom des autres et nous rend attentifs, par contraste, au fait que la voix qui prétend parler à la place de quelqu’un finit par remplacer la voix qu’elle est censée représenter. Cette perspective, pour intéressante qu’elle soit, risque d’oblitérer l’argumentaire social initial de la subalternité, défini par Gramsci, comme expérience de relégation et d’infériorisation, portant sur l’histoire des  » groupes sociaux subalternes  » (Cahiers de prison, cahier 25). Concevoir la subalternité comme épreuve sociale et non plus simplement raciale, en considérant la subalternité comme l’état de toute personne dont l’action et la voix ne sont pas appréhendées, c’est alors s’attacher à l’analyse des conditions sociales qui font et défont les vies ordinaires. La désignation de la vie comme vie subalterne (et il faudra se demander qui désigne certaines vies de la sorte) peut ainsi renvoyer, dans les limites du transfert évoqué précédemment, aux différentes épreuves de fragilisation sociale des vies. Précarité, exclusion, invisibilité sociale peuvent dès lors être interprétées comme autant de foyers d’engendrement de la subalternité dans les limites d’une philosophie sociale dont le projet de refondation de l’idée même de philosophie sera alors examiné dans le contexte élargi, fourni par l’argument de la subalternité, d’une volonté de philosopher par en bas. C’est ainsi vers la formulation d’une basse philosophie que s’acheminera l’analyse.

Guillaume Le Blanc est professeur à l’université Michel de Montaigne – Bordeaux 3.

Conférence publiée, Bulletin 2014 108 3.

Jean-François Mattéi

24 mars 2014. Nous apprenons avec une grande tristesse le décès de Jean-François Mattéi, professeur émérite à l’université de Nice-Sophia Antipolis et membre de l’Institut universitaire de France.
La conférence qu’il devait donner devant la Société, initialement programmée le 22 mars, avait pour titre « Du réel au virtuel : Platon et la modélisation des simulacres ». C’est avec un souvenir ému que nous convions les visiteurs de ce site à lire ou à relire ci-dessous la présentation argumentée qu’il nous avait fournie pour l’annonce de la conférence.
On lira à la suite le bel hommage que lui rend Bernard Bourgeois, président d’honneur de la SFP.
La SFP présente à Mme Mattéi et à tous ses proches ses sincères condoléances.

Jean-François Mattéi. Du réel au virtuel : Platon et la modélisation des simulacres
« Paul Valéry disait de la caverne de Platon qu’elle était la plus grande chambre noire jamais réalisée. Mais l’auteur de La République et du Timée n’est pas seulement le précurseur de la photographie et du cinéma qui diffusent leur flux incessant d’images. Il est le penseur qui a ordonné la structure mimétique du monde en distinguant les trois niveaux du modèle idéal, de la copie-icône et de la copie-idole. Or, notre temps semble supprimer cette hiérarchie et justifier la révolte des images. Censées représenter le réel, comme des icônes, elles se sont mises à le simuler, comme des simulacres, au point de le subvertir pour constituer des mondes virtuels et autonomes. Gilles Deleuze saluait dans ce processus fantasmatique  » la plus innocente de toutes les destructions, celle du platonisme « . L’avènement des simulacres constituerait ainsi le renversement de la hiérarchie entre la réalité et ses images instituée il y a 2 500 ans par Platon. Jean Baudrillard a reconnu également, cette fois pour la dénoncer,  » la précession des simulacres  » qui aboutit à la simulation d’un monde hyperréel dans lequel la copie précède le modèle, comme si la carte précédait le territoire au point de se substituer à lui. Il rejoignait par là l’intuition platonicienne selon laquelle les images tirent leur statut équivoque, non pas de leur propre simulation, mais d’une modélisation primitive. Loin que les réalisations actuelles de la science et de la technique témoignent d’une victoire des simulacres, en premier lieu au cinéma, la virtualisation des images révèle la primauté des modèles rationnels. C’est ce triple jeu permanent de la modélisation, de la représentation et de la simulation qui permet à la modernité tardive, non pas de renverser le platonisme, comme le répètent à l’envi les déconstructeurs de la métaphysique, mais d’en établir paradoxalement la vérité. Platon reste irréfutable. »

Hommage à Jean-François Mattéi, par Bernard Bourgeois, président d’honneur de la Société française de philosophie, 25 mars 2014
Jean-François Mattéi vient de nous quitter, emporté par la brutalité de la maladie. Méditerranéen – né en 1941 à Oran – il le fut aussi par son constant séjour marseillais et son enseignement à l’université de Nice, même à travers l’exercice de ses nombreuses responsabilités nationales dans l’institution universitaire (il était membre de l’Institut universitaire de France et dirigea les Volumes III et IV de l‘Encyclopédie philosophique universelle : Les œuvres philosophiques, Le Discours philosophique). Mais sa pensée elle aussi, celle d’un métaphysicien attaché à fonder ou refonder sur l’être les manifestations culturelles de l’humanité, tentées de s’égarer dans le nihilisme des simulacres, s’ancra dans l’ontologie méditerranéenne du Sophisteplatonicien (L’Etranger et le simulacre, 1983), se rappelant à elle-même, sur le tard, chez Nietzsche et Heidegger (L’ordre du monde, 1989). Alors, la grande alliance, sous la justice de la transcendance, de celle-ci et de la belle immanence, du Ciel et de la Terre, des dieux et des mortels, ordonna toute la culture européenne, dont le regard théorique et critique universel, plénier, jugea toutes les choses humaines, et d’abord les cultures. Mais la raison moderne, croyant s’universaliser et s’absolutiser en intégrant en elle son Autre – auparavant rejeté hors d’elle – se relativisa et se repentit en se faisant essentiellement critique d’elle-même. Se coupant de la transcendance de l’être, elle se fragmenta et détruisit dans tous les domaines, de la philosophie à la politique, laissant place au chaos, au désordre, à l’immonde, à la barbarie (La barbarie intérieure, 1999 ; Le regard vide, 2007). Cependant, le monde aura le dernier mot, et si, à la tombée du jour, les prétendants modernes à la philosophie tendent encore la coupe à Socrate, le platonisme ne pourra pas ne pas revenir, car la seule fin digne de la pensée est bien le retour à l’origine. Dans une telle foi, indignons-nous, certes (De l’indignation, 2005), mais hors de toute posture simplement négative, dans l’affirmation primaire de la dignité de l’homme, qui tient avant tout, conclut Mattéi reprenant Platon, à sa faculté d’admiration. Célébrant avec éclat la grande convergence platonicienne, dans l’Être, du vrai, du beau et du Bien, Jean-François Mattéi a pratiqué et illustré la philosophie, dans l’enthousiasme, mais aussi avec courage, comme le chemin vers la sagesse.

La place de l’imagination dans l’interprétation du langage (par Eléonore Le Jallé)

Conférence du 22 mars 2014 par Eléonore Le Jallé 

Eléonore Le Jallé
Eléonore Le Jallé

L’objet de ma conférence sera de révéler la place de l’imagination dans l’interprétation du langage en m’appuyant sur les travaux du philosophe Donald Davidson, puis en discutant la manière dont, chez cet auteur, cette mise en évidence s’accompagne d’une critique de l’existence de conventions dans le langage, une existence que j’entends, au contraire, conserver. Dans un premier temps, je voudrais donc soutenir l’idée que la communication langagière fait appel à l’imagination en partant des données suivantes, inspirées de Davidson : a) lorsque je parle et veux être comprise j’émets souvent, outre mes énoncés ou au cœur de mes énoncés, des indices à destination de mon auditeur sur le sens de mes paroles ; b) l’auditeur pour m’interpréter tient compte de ces indices et ajuste sa théorie interprétative préalable en conséquence. Or chez Davidson, cette découverte du rôle de l’imagination inventive dans la communication s’accompagne (et constitue une preuve) de la non-conformité du locuteur et de l’auditeur à des conventions linguistiques. Ceci semble supposer que 1) suivre l’imagination, c’est ne pas suivre de règles ; 2) suivre une convention n’implique ni ajustement inventif ni imagination, mais suppose toujours la conformation à une règle donnée d’avance. Je voudrais défendre au contraire que 1°) l’imagination est réglée (par l’association des idées), de sorte que la convergence des imaginations du locuteur et de l’auditeur n’est possible que parce qu’il existe de tels principes communs ; 2°) l’idée d’ajustement perpétuel n’est pas en fait étrangère à l’idée de convention, et la  » saillance  » (c’est-à-dire l’existence de  » points focaux  » frappant l’imagination) peut constituer l’une des sources de cet ajustement. Si cela est vrai, on peut alors défendre en même temps la place de l’imagination dans la communication langagière et saisir sous l’idée de convention le phénomène repéré par Davidson, à savoir la convergence se faisant (et non pas à l’avance) entre la manière dont un locuteur veut être interprété et celle dont son auditeur, sur la base d’indices, l’interprète : une convergence qui fait appel à l’imagination.

Eléonore Le Jallé est maître de conférences (HDR) à l’université Charles de Gaulle-Lille3. Voir sa page websur le site du laboratoire Savoirs Textes Langages.

Conférence publiée, Bulletin 2014 108 1.