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D’un sensible l’autre. Sur la signification métaphysique des sensibles (par Jocelyn Benoist)

Conférence du 20 mars 2021 par Jocelyn Benoist (professeur université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

D’un sensible l’autre. Sur la signification métaphysique des sensibles

On partira d’une représentation qui, sous diverses formes, a dominé une part importante de la philosophie du XXe siècle : celle de « la fin des arrière-mondes ». On essaiera de comprendre comment la récession du désir d’évasion en direction de quelque chose qui serait désigné comme suprasensible n’a pas reconduit la philosophie contemporaine, tant s’en faut, vers une prise en compte du sensible comme tel. La philosophie contemporaine, dans l’ensemble, certes, ne raisonne plus en termes d’opposition entre un sensible et un suprasensible et ne se donne plus comme tâche prioritaire le passage de l’un à l’autre, mais on peut avoir l’impression que, en perdant le sens du suprasensible, elle a perdu celui du sensible aussi.
Pour essayer d’en comprendre les raisons, on reviendra sur la fameuse fable nietzschéenne du Crépuscule des idoles et on proposera diverses interprétations de la fin du « platonisme » que, apparemment, il faudrait diagnostiquer à sa lumière. On discutera si cette fin, ainsi que ceux qui l’ont thématisée ont pu parfois le croire, doit être interprétée comme un retournement ou comme un renversement, ou bien si ce motif n’offre pas d’autres possibilités : si sortir du platonisme ne consiste pas en autre chose que le renverser.
La représentation d’une telle sortie n’est cependant possible que si l’on parvient à la juste appréhension de ce dont on serait censé sortir ou être déjà sorti. On rouvrira donc la question de la constitution platonisante du rapport métaphysique au sensible – ce qui conduira aussi bien à faire réentendre l’ambiguïté et la tension inhérentes à la notion de métaphysique, quelque peu étouffées aujourd’hui. Plutôt que d’y voir une pure et simple occultation du sensible, on y reconnaîtra une façon de prendre en charge la réalité du sensible et, en fait, l’invention même de ce sensible comme tel. On mettra en lumière, à cet égard, un double mouvement : comment la métaphorisation métaphysique du sensible est indissociable de sa constitution en genre unifié par le moyen d’une synecdoque. À partir de là, on pourra réfléchir sur les différentes façons dont le sensible, plutôt que de voir sa réalité s’effacer avec la métaphore métaphysique qui l’avait produit au profit d’une « métaphysique sans métaphore », ce rêve constitutif de la philosophie moderne, peut aujourd’hui être remis en jeu dans sa diversité, en déplaçant les leviers mêmes actionnés par le platonisme pour le constituer.
 

Sur la réforme du CAPES 2021

La Société française de philosophie a fait état de ses inquiétudes dès 2019 au sujet du projet de réforme du CAPES (voir le communiqué de 2019).

Le 29 janvier 2021 a été publié au Journal officiel le texte de l’arrêté du 25 janvier 2021 réformant le CAPES. Se joignant à de nombreuses associations de professeurs et à de nombreuses sociétés savantes, la Société française de philosophie a signé le texte ci-dessous.

Texte de la Conférence des Associations de professeurs spécialistes sur la réforme du CAPES
février 2021

Cette tribune est également publiée sur le site du Journal du Dimanche – JDD (12 février 2021.)

Le ministère de l’Éducation nationale vient de publier un arrêté1 réformant, pour la troisième fois en une dizaine d’années, le recrutement et la formation des professeurs de collèges et lycées. S’il est bien des constats communs à tous les formateurs dans nombre de matières, c’est l’actuelle faiblesse de beaucoup de candidats dans les connaissances académiques et la perte d’attractivité des métiers d’enseignement. Cette réforme y répond-elle ? Assurément pas. Les universités et les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspe), en charge de la formation des futurs enseignants et de la préparation des concours des CAPES et CAPET, sont sommés d’improviser des maquettes applicables dès la rentrée de septembre 2021. Cette précipitation reflète un constat lourd de conséquences : celui du refus ministériel de discuter sereinement d’une réforme majeure pour l’avenir de la jeunesse et du système éducatif, donc pour la société tout entière.

Deux nouveautés sont particulièrement inquiétantes, dans les épreuves des CAPES et CAPET et dans l’organisation des deux années de master MEEF qui préparent à ce concours. Une épreuve orale à fort coefficient consistera désormais en un entretien de motivation non disciplinaire, qui aboutira sans doute à la récitation mécanique et creuse d’une leçon de morale civique, réduisant d’autant la possibilité d’évaluer les connaissances que le futur professeur devra transmettre à ses élèves, et ce dans l’ensemble des disciplines qu’il devra enseigner. Par ailleurs, dans la nouvelle organisation du master, les étudiants devront, au cours de la deuxième année, cumuler la préparation du concours, la rédaction d’un mémoire de recherche, et un stage très lourd devant plusieurs classes, alors que jusqu’à présent ce stage s’effectuait une fois le concours obtenu, laissant à l’enseignant en formation le temps et la disponibilité pour apprendre véritablement le métier. Cela offrirait au ministère de gros bataillons de stagiaires scandaleusement sous-payés – peut-être est-ce là la vraie raison, purement comptable, de cette réforme – mais mettrait devant les élèves des enseignants dont le niveau disciplinaire n’aurait pas encore été évalué, et dont la charge de travail rendrait impossible l’investissement nécessaire dans la préparation des cours et l’apprentissage du difficile métier d’enseignant. Les premières victimes en seraient les élèves et les jeunes enseignants, sacrifiés sur l’autel de la rigueur budgétaire.

Ne nous y trompons pas : ces changements, qui peuvent apparaître techniques, mineront en profondeur la qualité de l’enseignement qui sera offert aux futures générations. Les professeurs n’exercent pas un métier comme les autres : ils forment les adultes et les citoyens de demain. Ils sont porteurs d’un savoir qu’ils transmettent à leurs élèves, souvent avec passion, et ce savoir doit plus que jamais être défendu comme une valeur centrale de l’enseignement, à l’heure où il est menacé de toutes parts par des « vérités alternatives » portées par des groupes et des individus prêts à les imposer par la violence et même le crime. Ce savoir ne s’oppose pas à l’apprentissage de la didactique, mais est au contraire le socle indispensable d’une pédagogie solide qui permet au professeur de transmettre les connaissances et de former à l’esprit critique les futurs citoyens. Affaiblir le premier au prétexte de renforcer le second, au nom d’une professionnalisation mal pensée, prétexte depuis si longtemps à tous les mauvais coups portés à la formation des enseignants, est une absurdité qui ne conduira qu’à affaiblir cet équilibre nécessaire.

Quels professeurs voulons-nous pour les générations de demain ? Des techniciens de l’enseignement, formés et évalués suivant un système de compétences transdisciplinaires qui tendent à se substituer aux contenus et méthodes de nos disciplines, immédiatement employables et à qui l’on demandera simplement de restituer un savoir officiel, dûment contrôlé ? Ou des professeurs maîtrisant pleinement leurs savoirs et capables à partir de là de construire une pédagogie adaptée à leurs élèves ? En amputant drastiquement la part de contrôle des connaissances dans les épreuves du CAPES et du CAPET, en réduisant la formation disciplinaire des futurs enseignants, en sacrifiant leur année de stage pour faire des économies budgétaires, le ministère a fait un choix lourd de conséquences, qui n’a pas fait l’objet d’un débat public contradictoire. L’enjeu est aussi celui de l’attractivité du métier d’enseignant pour les étudiants, du rôle de l’Université dans la formation des maîtres et celui de la revalorisation symbolique et matérielle des professeurs. Recruter au rabais, qu’est-ce promettre à la jeunesse ?

C’est pourquoi nous demandons que cette réforme mal préparée soit reportée et qu’une nouvelle version des arrêtés soit précédée d’une authentique concertation avec tous les acteurs du secteur éducatif, et non imposée à la va-vite dans le contexte de crise sanitaire actuel.

Signataires :

Association des Formateurs des Professeurs de SVT (AFPSVT)
Association Française d’Etudes Américaines
Association française de sociologie (AFS)
Association des germanistes de l’enseignement supérieur (AGES)
Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche (AHCESR)
Association des historiens modernistes des universités françaises (AHMUF)
Association des Professeurs d’Archéologie et d’Histoire de l’art des Universités (APAHAU)
Association des professeurs de biologie et de géologie (APBG)
Association des professeurs d’éducation musicale (APEMU)
Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG)
Association des Professeurs de Langues Anciennes de l’Enseignement Supérieur (APLAES)
Association des professeurs de langues vivantes (APLV)
Association des professeurs de lettres (APL)
Association des professeurs de mathématiques de l’Enseignement public (APMEP)
Association des professeurs de philosophie de l’Enseignement public (APPEP)
Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES)
Association des professeurs de sciences médico-sociales (APSMS)
Comité National Français de Géographie (CNFG)
Coordination Nationale des Associations Régionales des Enseignants de Langues Anciennes (CNARELA)
Sauver les Lettres
Société des Anglicistes de l’Enseignement Supérieur (SAES)
Société d’études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles
Société française d’études irlandaises (SOFEIR)
Société Française des Microscopies (SfM)
Société française de philosophie
Société Française de Physique (SFP)
Société Française de Statistique (SFdS)
Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public (SHMESP)
Société des langues néolatines (SLNL)
Société Mathématique de France
Société des professeurs d’histoire ancienne de l’université (SoPHAU)
Union des professeurs de Physiologie, Biochimie et Microbiologie (UPBM)
Union des professeurs de physique chimie (UdPPC)

Télécharger le texte en pdf.

1 – Arrêté du 25 janvier 2021 publié au Journal officiel du 29 janvier : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043075486

Des œuvres et des discours : portrait de l’artiste en chercheur (par Carole Talon-Hugon)

Conférence du 16 janvier 2021 par Carole Talon-Hugon (professeur, Université Paris-Est Créteil) :

« Des œuvres et des discours : portrait de l’artiste en chercheur« 

Dans Le Mot peint (1975), l’écrivain Tom Wolfe imaginait ironiquement le moment où les musées n’exposeraient plus les œuvres des peintres Jackson Pollock, Willem De Kooning ou Jasper Johns accompagnées de petits cartels portant des commentaires des critiques Clement Greenberg, Harold Rosenberg ou Leo Steinberg, mais accrocheraient sur leurs murs les reproductions agrandies de ces mêmes textes accompagnées de petits cartels où figureraient les reproductions des œuvres commentées. De fait, la chose s’est réalisée : l’artiste John Baldessari a effectivement exposé une toile intitulée Clement Greenberg (1967-68), qui ne consiste en rien d’autre qu’en la reproduction d’un texte du critique, réalisant par là la superposition parfaite de l’œuvre et du texte.

C’était là une étape dans un processus continu d’intellectualisation de l’art dont il s’agira ici d’identifier les divers moments saillants et les formes spécifiques, depuis les premiers textes théoriques sur les arts du dessin à la Renaissance jusqu’à la posture contemporaine de l’artiste en chercheur de sciences sociales, en passant par les Conférences de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, le temps des Manifestes et celui des « théories persuasives » de la Modernité tardive. Il s’agira plus particulièrement d’étudier ce qui a rendu possible les formes les plus contemporaines de cette prolifération discursive, en montrant qu’elles sont nées de la convergence de deux phénomènes distincts qui, au cours du XXe siècle, ont affecté la sphère artistique d’une part, et la sphère académique de l’autre. Le premier est la désartification de l’art ; le second, la dé-régulation des sciences humaines.

Séance en visioconférence.

Bulletin 2020 114 3

n°2019 113 4Quelle place pour les données dans le raisonnement scientifique ?

Séance du 16 novembre 2019
Exposé : Anouk Barberousse
Discussion : Georges Chapouthier, Laurent Jaffro, Denis Kambouchner, Catherine Kintzler, Jean-Louis Masnou, Claude Maury, Emmanuel Picavet, Sophie Roux.
Voir résumé et photo à la rubrique Conférences.
Édité par Vrin.

n°2019 113 3Matérialisme et métaphysique : Diderot, Maupertuis, Dom Deschamps

Séance du 25 mai 2019
Exposé : Annie Ibrahim
Discussion : Jean-Charles Augendre, Christophe Calame, Sylvie Coirault-Neuburger, Patrice Henriot, Laurent Jaffro, Denis Kambouchner, Eléonore Le Jallé, Jacques Nadal, Alexis Tétreault.
Voir résumé et photo à la rubrique Conférences.

Hommages à Didier Deleule (1re partie de la séance)
Anne Baudart, Bernard Bourgeois, Laurent Jaffro, Catherine Kintzler, Eléonore Le Jallé, Emmanuel Picavet.

Edité par Vrin.

Dernières publications

Derniers Bulletins parus  :

« Quelle place pour les données dans le raisonnement scientifique ? » (Anouk Barberousse) n° 2019 113 4.

« Matérialisme et métaphysique : Diderot, Maupertuis, Dom Deschamps » (Annie Ibrahim)
« Hommages à Didier Deleule » n° 2019 113 3.

« Le monde sans nous. Réflexions sur le réalisme des Modernes » (Philippe Hamou) n° 2019 113 2.

« Le monde : norme ou donné? » (Michaël Fœssel) n° 2019 113 1.

 

Revue de métaphysique et de morale dernier numéro paru :

« Charles Taylor » 2020/4 – 108

 

 

Jean-Marc Gabaude (par Anne Baudart)

[Texte lu à l’ouverture de la séance du 3 octobre 2020]

Jean-Marc Gabaude, notre collègue et ami, nous a quittés le 22 juillet 2020 à l’âge de 92 ans. Les épreuves de santé subies par lui au cours des dernières années ont mis au jour un courage d’exception et une volonté de ne pas se laisser vaincre par elles.

En juillet 2019, le philosophe faisait parvenir à ses amis un fascicule de 73 pages de type testamentaire : Philosophie grecque, moments historiques, aux Éditions universitaires du Sud. Il y livrait, en condensé, les axes de sa philosophie et de son existence de philosophe. Rendant un vif et long hommage au « moment socratique », il aimait convoquer un de ses deux maîtres1, Évanghelos Moutsopoulos et sa philosophie de la kairicité. « N’est-il pas beau et bon de clore son exister par une ouverture kairique ? Mort kairique, en kairô. Tel sera notre explicit2 ». Socrate en représentait à coup sûr une figure exemplaire. Le kairos, ce moment crucial, fugace, original et unique, investi de passé et d’avenir ne doit pas être manqué. Jean-Marc Gabaude s’est exercé, au long des jours, à l’accomplissement réussi de ce moment, dans ses diverses occurrences, dont l’ultime.

Dans ses ultima verba, justement, notre collègue et ami professe un art de vivre « stoïco-épicurien », rendant une sorte de culte à ce qui seul vaut, le présent, offrande gratuite de la Nature, quelle qu’en soit la teneur, heureuse ou non. La notion de Dieu lui semble « vide de sens », mais il respecte et ne combat pas ceux qui s’y réfèrent authentiquement. Les deux valeurs primordiales, à ses yeux, philia kai agapê, ont été actualisées par lui, continûment, dans l’existence comme dans les travaux universitaires, ou les responsabilités institutionnelles qui furent siennes. Professeur à l’Université de Toulouse, doyen de la faculté de philosophie de cette même université, il fut aussi président de la Société toulousaine de philosophie et ne négligea pas ce qui touche à la scolarisation et aux recherches et pratiques éducatives. On lui doit, par exemple, Philosophie de la scolarisation, des années 1880 aux années 19803.

Il laisse de nombreuses œuvres comme Le jeune Marx et le matérialisme antique (1970), Jean Jaurès philosophe (2000), Pour la philosophie grecque (2005), qui lui valut une distinction de l’Académie des sciences morales et politiques, le prix Victor Cousin. Un demi-siècle de philosophie en langue française (1937-1990), retraçant l’historique de l’Association des philosophies de langue française (A.S.P.L.F.) pour l’Université de Laval, lui valut également une distinction de la même Académie, le prix Claude Berthault en 1992. La liste de ses ouvrages est loin d’être exhaustive. Elle se veut soulignement de traits porteurs d’une ouverture d’esprit et d’une curiosité historienne féconde et rigoureuse. Le philosophe acceptera, en1987, sur les instances du président canadien Venant Cauchy (1980-1988), de devenir l’historiographe de l’A.S.P.L.F., lors du Colloque commémorant le cinquantenaire de l’Association à Paris, à la Sorbonne.

En effet, dès 1937, date du IXe Congrès international dédié à Descartes, l’idée germa, sur les instances de Léon Brunschvicg – président de la Société française de philosophie, et de son secrétaire général, de 1901 à 1937, André Lalande, puis de son successeur, Charles Serrus -, de regrouper la dizaine de sociétés de philosophie dispersées dans le monde en une Association internationale qui deviendra l’A.S.P.L.F. Un « Comité permanent de liaison des sociétés françaises de philosophie » se forma en août 1937. Gaston Berger fut sollicité pour en devenir le premier président (1937-1960).

Jean-Marc Gabaude, dans la lignée de ces fondateurs, continuera de diffuser leur esprit en se faisant l’artisan vivant du « lien d’amitié », socle originel de l’Association. Il aime à rappeler combien « Gaston Berger et ses amis ont voulu créer et maintenir un climat fraternel de compréhension et de « réciprocité des consciences », à travers le pluralisme souhaité des tendances, des options, des méthodes4 ». Il souligne les vertus de « l’éthique pédagogique » inhérente à l’institutionnalisation minimale des premières Sociétés de philosophie de langue française.

Lors du XIIIe Congrès de 1966, à Genève, le président Fernand Brunner (1969-1980) valorise cet axe éthique dont Jean-Marc Gabaude fait une pièce maîtresse du présent et de l’avenir de l’ASPLF :

« Notre Association n’a eu, jusqu’ici, aucune réalité en soi ni aucun caractère officiel […]. Elle est le lien d’amitié qui rattache les sociétés de philosophie de langue française les unes aux autres, lien que chaque société à tour de rôle, rend manifeste en organisant un congrès dont elle prend la responsabilité intellectuelle et matérielle.

Telle est l’Association que Gaston Berger a voulu fonder sur la confiance plutôt que sur les procédures juridiques et financières, l’Association que Georges Bastide a conservée ensuite diligemment5…».

Les Congrès organisés par les diverses Sociétés de philosophie de langue française attestent encore de nos jours ce « lien d’amitié » vécu dans la rencontre et le dialogue de philosophes d’horizons différents. Jean-Marc Gabaude, historiographe « perpétuel » de l’A.S.P.L.F., comme il aimait à se définir, s’est voulu le passeur inlassable de l’esprit des fondateurs du début du siècle dernier. Il est à ce titre, un des piliers vivants de nos institutions et de leurs manifestations intellectuelles.

Notes

1 L’autre, Georges Bastide, président de l’ASPLF de 1960 à 1969, qui avait lui-même écrit Le moment historique de Socrate, Paris, Alcan, 1939, fut professeur à l’Université de Toulouse et le directeur de thèse de Jean-Marc Gabaude : Liberté et raison : la liberté cartésienne et sa réfraction chez Spinoza et Leibniz (1970-1974).

2 Jean-Marc Gabaude, Philosophie grecque, Moments historiques, Éditions universitaires du Sud, 2019, p.30.

3 Jean-Marc Gabaude, Philosophie de la scolarisation, des années 1880 aux années 1980, Publications de l’Université de Toulouse-Le Mirail, Coll. « Amphi 7 », diffusion : Éditions universitaires du Sud.

4 Jean-Marc Gabaude, Philosopher en langue française (1900-2012), historique de l’Association internationale des Sociétés de Philosophie de Langue française (ASPLF), Éditions universitaires du Sud, 2012. L’ouvrage complète la première édition parue en 1990, Un demi-siècle de philosophie en langue française (1937-1990).

5 Ibid, p. 161-162.

Déclaration du 19 oct. 2020 à la suite de l’assassinat de Samuel Paty

La Société française de philosophie exprime son effroi devant l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, décapité par un terroriste islamiste pour avoir pris à cœur sa mission au service de la laïcité, des savoirs critiques et des valeurs républicaines.

Elle adresse à la famille, aux collègues et aux élèves de ce professeur ses condoléances les plus vives.

Elle s’alarme des menaces que fait peser sur la liberté de l’enseignement la culture de la haine et de l’intimidation qui s’étend toujours davantage sur les réseaux sociaux.

Elle exprime son soutien à tous les collègues qui, en particulier au collège et au lycée, luttent quotidiennement, pied à pied, contre les forces de l’obscurantisme. Il est essentiel qu’ils puissent compter dans cette lutte sur une aide et un appui sans faille de leur hiérarchie.

Elle prendra sa part de la même lutte par tous les moyens à sa disposition.

19 octobre 2020

Religion, politique et idéologie. Un regard de philosophie des sciences sociales (par Bruno Karsenti)

« Religion, politique et idéologie.  Un regard de philosophie des sciences sociales »
Conférence du 3 octobre 2020 par Bruno Karsenti, directeur d’études à l’EHESS.

Bruno Karsenti

Religion et politique sont entrées dans de nouveaux rapports, qu’on n’attendait pas : des rapports de dépacification, voire de guerre civile, qui exigent de notre part un auto-examen sans concession et une interrogation sur ce que nous avons manqué. Sur ce plan, ce qui est exigé de nous, c’est que nous reconsidérions la thèse majeure de la séparation moderne du politique et du religieux. On adoptera une démarche de philosophie des sciences sociales pour affronter cette question. Cette démarche se pose en alternative au récit canonique de la philosophie politique moderne qui, précisément, entérine et considère pour acquise la grande séparation. Elle permet d’aborder les religions, dans leurs formes singulières et irréductibles, en relation à la constitution des idéologies qui structurent la modernité politique. La philosophie des sciences sociales, en effet, se définit par un lien intrinsèque à la sociologie des idéologies, exemplairement pratiquée par Karl Mannheim et Norbert Elias. Mais elle est aussi en mesure, pour cette raison même, de définir le point par lequel les religions se distinguent des idéologies. Ce point tient, non au fait que, ramenées à leur supposée pureté, elles ne seraient pas politiques, et par conséquent toujours déjà disposées à la grande séparation, mais au fait qu’elles le sont essentiellement et le demeurent chacune à leur manière, quoiqu’en un sens spécifique qui exige d’être caractérisé. On tâchera, dans cette conférence, d’user de cette méthode discriminante pour se doter d’un meilleur aiguillon dans cette zone particulièrement tourmentée de notre condition actuelle.

Voir la page web de Bruno Karsenti sur le site de l’EHESS.

 

Bulletin n° 2020 114 2.

 

Report 38e Congrès ASPLF à 2021

Communiqué du Comité d’organisation du 38e Congrès de l’ASPLF

8 avril 2020

La gravité de la situation sanitaire en Europe et dans le monde, ainsi que les nombreuses incertitudes portant sur les conditions dans lesquelles cette crise prendra fin, conduisent le Comité d’organisation du 38e Congrès de l’Association des Sociétés de Philosophie de Langue Française (La Participation. De l’ontologie aux réseaux sociaux) à reporter celui-ci d’une année.

Dans toute la mesure du possible, celui-ci se tiendra à Paris sur cinq journées de la fin août 2021 avec un thème inchangé.

Les dates en seront précisées dès que possible ainsi que les détails d’organisation afférents.

Un courrier a été envoyé aux participants déjà inscrits.

Voir le site du Congrès « La participation »

« Avant l’épistémologie. La quête prémoderne du savoir parfait » (par Robert Pasnau)

« Avant l’épistémologie. La quête prémoderne du savoir parfait »,
conférence du 18 janvier 2020 par Robert Pasnau, professeur à l’université de Boulder, Colorado.

De toutes les grandes branches de la philosophie, l’épistémologie est la plus étrangère à son histoire. Aujourd’hui, l’étude de la connaissance est l’une des questions fondatrices de la philosophie. Mais il n’en a pas toujours été ainsi – en effet, pendant de longues périodes, l’épistémologie (au sens que le terme a en langue anglaise, qui lui donne pour objet l’étude de la connaissance et de la croyance justifiée) paraît ne pas avoir été

Robert Pasnau

du tout une question philosophique importante, et encore moins fondatrice. Pour expliquer comment elle est devenue une question fondatrice en philosophie, je décris la formation d’une distinction entre la connaissance et la science – un développement qui a ses origines dans la désintégration de la métaphysique scolastique issue d’Aristote. Cela exige que l’on comprenne le cadre qui a orienté l’épistémologie durant une très grande partie de son histoire. Si cette histoire nous paraît étrange, c’est que nous avons perdu de vue le projet principal. Le projet qui, selon moi, a dominé l’histoire de nos théories sur la connaissance était de définir ce que j’appelle une épistémologie idéalisée. Plutôt que de se fixer comme objectif l’analyse de notre concept de connaissance, une épistémologie idéalisée aspire, en premier lieu, à définir l’idéal épistémique que les êtres humains pourraient espérer atteindre, et ensuite à repérer les diverses façons dont nous nous écartons souvent de cet idéal.

Pour l’histoire de l’épistémologie, le changement crucial s’est produit au début de la modernité quand les grandes figures intellectuelles du XVIIe siècle, en qui nous voyons désormais des scientifiques, ont articulé une conception nouvelle, post-aristotélicienne, de l’idéal épistémique. Plutôt que de désespérer du succès à la manière sceptique, ou de se résigner à un simple bénéfice pratique, ils ont défini un idéal qui renonçait au projet de la compréhension causale fondée sur la saisie des essences, et le remplaçait par le projet de la précision, caractérisé en termes mathématiques. La philosophie scolastique du Moyen Âge, en revanche, avait essayé d’explorer et d’identifier les formes substantielles et les qualités élémentaires qui fondent le monde naturel. Mais ce faisant, ces auteurs avaient rendu toute précision impossible, car ils avaient postulé l’existence d’entités qu’ils étaient incapables de caractériser avec quelque précision que ce soit. Il y a inévitablement un choix à faire entre ces ambitions. S’agit-il de rechercher la précision pour ce qui se trouve près de la surface ? Ou pouvons-nous aspirer aux profondeurs obscures ?

Si l’épistémologie – qui durant des siècles n’avait pas été du tout un objet spécifique – est maintenant devenue une question fondatrice de la philosophie, c’est que nous avons largement suivi la solution de John Locke à ce dilemme, en nous en remettant à la science quand il s’agit de savoir à quoi ressemble le monde et pourquoi il en va ainsi. Ainsi, la tendance philosophique dominante depuis trois siècles, du moins chez les philosophes de langue anglaise, a été de se concentrer sur les sujets qui relevaient autrefois de la logique dans son sens traditionnel large : l’étude de la connaissance, de la langue et des modèles d’inférence. Au lieu de la profondeur explicative, la philosophie a fini par privilégier, avant tout, la précision. Pourtant, il n’est pas trop tard pour nous demander si la philosophie doit céder le pas aux sciences dans la recherche des explications ultimes qui disent pourquoi le monde est tel qu’il est.

Robert Pasnau est résident de l’Institut d’Etudes avancées de Paris en 2019-2020.

Site web de Robert Pasnau.

Bulletin n° 2020 114 1.

n°2018 112 4Editer Descartes aujourd’hui. Table ronde

Séance du 17 novembre 2018
Exposés : Michelle Beyssade, Frédéric de Buzon, Denis Kambouchner, Emanuela Scribano.
Discussion : Marc Bedjaï, Philippe Casadebaig, Françoise Coursaget, Françoise Pochon-Wesolek.
Voir le résumé et les photos à la rubrique Conférences
Edité par Vrin

Hommage à Didier Deleule du 25 mai 2019

Le 25 mai 2019, en ouverture de séance, la Société a rendu un hommage amical à son président, notre ami Didier Deleule décédé le 6 février 2019.

Ont pris la parole : Anne Baudart, Bernard Bourgeois, Laurent Jaffro, Catherine Kintzler, Eléonore Le Jallé.

Les textes des interventions sont téléchargeables :

On peut lire aussi, publiée en ligne le 15 février, une brève biographie de Didier Deleule par Emmanuel Picavet.