Résumés

Spinoza : l’énigme (par Elhanan Yakira)

Conférence du 21 janvier 2017, Sorbonne, amphithéâtre Edgar Quinet

par Elhanan Yakira

Elhanan Yakira

Il y a sans doute une énigme spinoziste. Elle persiste en dépit du vaste corpus, qui, consacré à la philosophie ou à la vie du philosophe, ne cesse de croître en quantité comme souvent aussi en qualité. Qui fut ce penseur étrange et solitaire ? Qu’a t-il voulu au juste ? Comment comprendre l’intérêt dont il fait l’objet et son influence sur la pensée moderne, voire sur la culture moderne  elle-même ? Mais surtout, peut-on trouver dans sa pensée un intérêt non pour les érudits ou les historiens, ni en vertu d’inspirations vagues, mais pour des raisons proprement philosophiques ? Il m’a semblé devoir apporter une réponse positive à cette question.

Quantité de préoccupations spinozistes semblent, à un titre ou un autre, pleinement ou partiellement, faire désormais partie intégrante des visions modernes du monde. C’est le cas notamment de sa doctrine de l’Etat et du politique ; c’est également le cas de ses vues en matière de rationalité scientifique, de la scientificité possible de l’approche de la psyché et des affections. On pourrait sans doute nommer beaucoup d’autres points. Pourtant, sa doctrine de la liberté par exemple, ou encore cette chose plutôt obscure et même mystérieuse, qu’il appelle béatitude, restent opaques pour la plupart de ses lecteurs contemporains. D’un autre côté, sa théorie des rapports entre le corps et l’âme paraît à beaucoup détenir une grande valeur du point de vue des sciences de la vie comme des neurosciences telles qu’elles sont pratiquées de nos jours ; en vérité toutefois n’est-ce pas à la faveur d’une lecture partiale qui veut attribuer à Spinoza, sans doute à la suite de Fechner, une doctrine « paralléliste » alors que cette dernière est bien davantage leibnizienne que spinoziste ? Ce qui ne serait pas le seul cas d’une lecture plus ou moins « leibnizienne » de Spinoza.

Intervention d’Edith Fuchs

Le véritable et vivant intérêt philosophique de Spinoza se trouverait ailleurs. On ampute Spinoza à omettre que c’est sa conception éthique en laquelle gisent le noyau, le cœur, la source thématique, conceptuelle, existentielle peut-être, d’où émerge ce qu’on appelle le système spinoziste ; c’est cela plus que toute autre chose qui lui donne son ultime intelligibilité philosophique. Deux traits donnent à cette éthique son visage spécifique, voire unique : sa nature iconoclaste d’une part, et d’autre part, le statut de vérité absolue, démontrée more geometrico, que Spinoza pense pouvoir lui octroyer. Car en général, et depuis le temps des grecs, on distingue entre la nécessité ou les vérités morales et la nécessité ou vérité des mathématiques.

N’insistons pas sur la critique radicale que mène Spinoza à l’égard des religions révélées et instituées, car il y a là un lieu commun. Or, chez Spinoza la critique radicale de la religion s’entrelace avec l’élaboration positive de l’éthique. Ces deux éléments se conditionnent l’un l’autre et ne peuvent être séparés qu’au prix de perdre de vue la spécificité de l’entreprise spinoziste. En entrelaçant la polémique contre « la » religion avec sa doctrine éthique positive, Spinoza aboutit à un paradoxe : sa philosophie s’affirme comme une alternative à part entière à la religion, ce qui signifie à la fois un rejet de tout ce qui relève de la tradition religieuse, mais aussi une reconnaissance plus ou moins implicite, mais tout à fait réelle, de la pertinence des motivations présumées du religieux, plus précisément de la quête de certitude morale. Tout en n’étant pas dépourvue du profond « sérieux » caractéristique de l’attitude religieuse, cette philosophie se livre à une déconstruction sans compromis de ce qu’elle prend pour le contenu des religions positives. En d’autres termes, si la philosophie de Spinoza est initiée par le rejet radical de tout ce qui relève du « religieux », elle n’en retient pas moins l’absoluité de la normativité, l’irréductibilité des normes éthiques fondées cette fois, non plus sur la révélation mais sur la raison.

Pour essayer de reconstruire le sens positif de l’éthique spinoziste, je procèderai en deux temps.

D’un côté, je prendrai comme point de départ la théorie spinoziste de l’âme et du corps. Celle-ci est interprétée le plus souvent comme une théorie « paralléliste ». Or, le parallélisme est une invention leibnizienne conçue, ironiquement, dans le contexte de sa critique du spinozisme. Je soutiendrai que la conception de Spinoza de l’âme et du corps est une conception non paralléliste, voire anti-paralléliste. A son centre se trouve cette étrange doctrine selon laquelle l’âme est l’idée du corps. Souvent mentionnée mais rarement étudiée au fond, c’est cette doctrine certes profondément contre intuitive et même paradoxale, qu’il faudrait essayer de déchiffrer. Plutôt qu’une contribution supplémentaire à la problématique cartésienne des rapports entre l’âme et le corps, elle fournit, croyons-nous, le fondement de l’éthique spinoziste qui est une éthique de l’absolument incontournable hic et nunc. En rejetant ainsi toute croyance en l’immortalité, liberté, certes, mais aussi éternité et béatitude, acquièrent une consistance proprement philosophique.

Le deuxième temps sera abordé en faisant appel à la lecture éthique que fit Jean Cavaillès de la notion spinoziste de nécessité. A l’encontre de cette lecture toutefois, je ne comprendrai pas cette nécessité comme un appel direct à l’action ou à la résistance, mais bien plutôt comme une réduction originelle de l’éternité à la nécessité, qui dessine le visage d’une philosophie de la valeur absolue de l’existence elle-même.

Elhanan Yakira est professeur émérite à l’université hébraïque de Jérusalem.

La conférence a été suivie d’une intervention d’Edith Fuchs, traductrice de : Elhanan Yakira, Spinoza. La cause de la philosophie (Paris : Vrin, 2017).

Conférence, intervention d’Edith Fuchs et discussion publiées dans le Bulletin n° 2017 111 1.

Descartes chimiste ? quelques pages négligées des Principia philosophiae (par Bernard Joly)

Conférence du 19 novembre 2016, 16h, Sorbonne, amphithéâtre Edgar Quinet

par Bernard Joly bjoly16nov162redim

Dans une lettre du 4 août 1645 à Constantin Huygens, Descartes déclarait avoir déjà écrit tout le peu qu’il savait touchant la chimie dans la quatrième partie de ses Principes. Il avait en effet consacré quatre-vingt-huit articles de cet ouvrage (près d’une cinquantaine de pages) à cette discipline. Descartes n’avait pas eu l’intention d’écrire un traité de chimie, comme le souhaitait son ami Huygens, ayant pleine conscience de l’insuffisance de ses expériences de laboratoire ; il n’espérait pas même faire progresser cette science, dont il connaissait à la fois l’importance pratique et les insuffisances théoriques. Les théories de son temps, qu’on les appelle chimiques ou alchimiques (Descartes, comme ses contemporains, considérait les deux termes comme équivalents) lui semblaient inacceptables au regard de ses propres conceptions concernant la structure de la matière. Il s’agissait donc simplement pour lui de proposer des explications des diverses opérations chimiques qui fassent l’économie des thèses paracelsiennes alors dominantes et de remplacer l’invocation d’une présence agissante des principes chimiques (Mercure, Soufre et Sel) par des explications mécaniques ne faisant intervenir que la taille, la figure et le mouvement des corpuscules.

Descartes qui, tout au long de sa vie, avait critiqué sans ménagement les théories alchimiques (sans pourtant contester la possibilité de la transmutation des métaux), semblait accorder la plus grande importance à ses développements chimiques : le soin avec lequel il tente d’expliquer aussi bien la formation souterraine et les propriétés des corps chimiques que des opérations telles que la combustion ou la fermentation montre bien qu’à ses yeux tout cela avait autant d’importance que les lois du choc des corps ou la doctrine des tourbillons qu’il avait exposées dans les pages précédentes, et qui constituent à nos yeux des aspects essentiels de sa physique. Là encore, il entendait mettre en évidence la fécondité d’une théorie de la matière débarrassée de toute attache avec les doctrines antérieures. Pourtant, même si quelques chimistes affirmèrent par la suite leur filiation avec le cartésianisme, comme Robert Boyle ou Nicolas Lémery, aucun ne reprit jamais à son compte le détail des explications cartésiennes des Principia qui tombèrent rapidement dans l’oubli. Bien plus, et cela jusqu’à nos jours, rares sont les historiens des sciences ou de la philosophie à avoir tenté d’interpréter ces pages obscures, de les replacer dans le vaste édifice métaphysico-physique que Descartes voulait construire ou de les mettre en relation avec les théories chimiques ou alchimiques de son temps.

Ce sont les raisons de cet oubli historique de la chimie cartésienne que je voudrais essayer de comprendre. Les articles chimiques de la quatrième partie des Principia philosophiae ont en réalité fait l’objet d’une véritable occultation : préférant s’attacher à des liens imaginaires que Descartes aurait entretenu avec les milieux hermétiques, les commentateurs, hier comme aujourd’hui, ont ignoré le lieu où se déployait véritablement la chimie de Descartes. Ce déni a été renforcé à l’époque moderne par une confusion constante sur le statut de l’alchimie, dans laquelle on a refusé de voir la véritable chimie de l’époque. C’est ainsi à la fois une part importante de la conception cartésienne de la matière et la place de la chimie dans les processus de la Révolution scientifique qu’il convient aujourd’hui de réévaluer.

Bernard Joly est professeur émérite à l’université de Lille, sciences humaines et sociales, membre de l’UMR  8163 « Savoirs, textes, langage »  CNRS. Voir la page personnelle de B. Joly sur le site STL.

Conférence publiée, bulletin 2016, 110, n°4.

 

Qui a dit « animal rationale » ? (par Jean-Michel Muglioni)

Conférence du 28 mai 2016 par Jean-Michel Muglioni.

Les meilleurs historiens de la philosophie disent traditionnelle ou classique la définition de l’homme comme animal raisonnable. Saint Augustin déjà l’attribue aux anciens. Locke la qualifie de scolastique et ironiquement de sacrée, Leibniz dans sa réponse la dit « consacrée ». Heidegger en fait le centre de sa critique de l’humanisme, lequel aurait manqué l’humanité de l’homme parce qu’il l’a pensée à partir de Muglioni4Rediml’animalité, rangeant l’homme dans le genre animal, avec la raison comme différence spécifique, et de là serait venu le biologisme. Foucault lui aussi prétend que cette définition règne depuis 2000 ans en occident, mais ne lui donne pas ce sens. Ce ne sont que quelques exemples.

Cette définition n’est qu’une fiction scolaire : un exemple donné dans les manuels de logique pour montrer ce qu’est la définition par genre et différence spécifique, et non une thèse sur l’humanité de l’homme. Au contraire, chaque fois qu’elle est reprise dans un contexte métaphysique et anthropologique, par Montaigne, Descartes, Locke, Leibniz, Kant, Hegel, elle est rejetée. Il est faux de prétendre que tout le monde l’a admise et qu’elle consisterait à penser l’humanité à partir de l’animalité.

Auguste Comte affirme la parenté de l’homme et de l’animal contre cette définition, expression d’un mépris théologique des animaux : son jugement est l’exact contraire de celui de Heidegger. Et d’un même mouvement il condamne un matérialisme qui croirait trouver dans la biologie le principe d’explication de la sociologie. On pourra donc voir que penser l’homme à partir de l’animalité ne débouche nullement chez lui sur un biologisme.

Jean-Michel Muglioni, ancien professeur en khâgne, docteur d’État, est vice-président de la Société française de philosophie.

Conférence publiée, Bulletin 2016 110 3

Avoir des droits : pourquoi, comment, lesquels ? (par Jean-François Kervégan)

Conférence du 9 avril 2016 par Jean-François Kervégan.

Suspendons la croyance qui est la nôtre quant au fait que les individus et certains groupes humains (peut-être aussi d’autres êtres ou entités) ont des droits ; au demeurant, un rapide examen historique montre que la conviction que les hommes ont ou doivent avoir des droits (dont la liste ne se réduit d’ailleurs pas forcément aux ‘droits de l’homme’) est assez récente. Demandons-nous donc s’il y a des raisons fortes qui, indépendamment de nos certitudes ‘humanistes’, nous contraignent d’admettre que les hommes ont des droits. Et pour cela, d’abord, que signifie exactement avoir un droit ? Depuis le travail fondateur de Hohfeld (1913), on sait que la notion de ‘droit subjectif’ (c’est l’expression utilisée dans les langues savantes autres que l’anglais pour pallier l’absence d’une distinction lexicale entre right et law) tacitement mobilisée lorsque nous affirmons que  » x a le droit de faire (ou de recevoir) y  » recouvre des relations différentes ; on s’en aperçoit, c’est l’apport de Hohfeld, en recherchant, dans les différents cas où on parle d’un droit, ce que sont son corrélat et son contraire. Bilan de cet examen : le noyau dur des droits subjectifs correspond à la notion de droit opposable (claim-right), d’un droit qu’on peut revendiquer contre une personne ou un groupe assignables. Mais il en existe d’autres types (trois, selon Hohfeld : les ‘libertés’, les ‘pouvoirs’ et les ‘immunités’) dont la structure et les usages sont différents. Mais l’expression ‘avoir un droit’ demande elle-même à être clarifiée. On s’en aperçoit en posant une question comme  » les femmes avaient-elles le droit de vote en 1900  » ? Manifestement, on peut y répondre par oui ou par non selon ce qu’on entend par avoir un droit. Si on est un tenant du positivisme juridique, on répondra que non, puisque la loi électorale alors en vigueur ne conférait pas ce droit aux femmes. Mais on peut à l’inverse considérer que les femmes avaient néanmoins un droit moral à être des citoyennes, sans en avoir encore le droit juridique. Ce qui conduit à la vaste et épineuse question du statut des ‘droits moraux’, à l’égard desquels j’ai (comme tous ceux qui se réclament à un degré ou à un autre du positivisme juridique) une position plutôt réservée. Il convient donc de s’interroger, par exemple avec Joel Feinberg ou Ronald Dworkin, sur l’existence et la nature de moral rights distincts de et éventuellement supérieurs aux legal rights. Si on se demande maintenant : pourquoi, après tout, faut-il que nous ayons des droits ?, une réponse simple et forte est suggérée par Hegel (Encycl § 486, PPD § 155 et 261) : s’il n’y a pas de droits, il ne peut y avoir de devoirs ou d’obligations. A vrai dire, cette réponse n’est pleinement pertinente que dans le cas des claim-rights, qui ont effectivement pour corrélats des obligations définies de la part de personnes définies. Mais elle indique la direction vers laquelle doit se diriger un traitement philosophique de la question : il faut que nous ayons des droits car seul le titulaire de droits est susceptible d’avoir des obligations (en admettant le théorème selon lequel une société ne peut ‘fonctionner’ que si ses membres se soumettent ou sont soumis à certaines obligations). Deux arguments, d’ordre différent, peuvent être avancés à l’appui de cette affirmation ; l’un est d’ordre historico-sociologique, l’autre d’ordre strictement philosophique. Le premier argument s’inspire de Niklas Luhmann, qui tire parti du constat banal suivant lequel les droits subjectifs sont une idée moderne. Les sociétés traditionnelles mettaient en œuvre des relations symétriques mais verticales, fondées sur laréciprocité ; au contraire, les systèmes sociaux modernes, toujours plus différenciés, sont fondés sur la complémentaritéd’individus engagés dans des relations asymétriques mais égalitaires. C’est cette asymétrie qui rend nécessaire  » l’institution paradoxale  » que sont les droits subjectifs (y compris sous la forme fantasmée de droits  » naturels « ) : en effet, comme l’avait déjà noté Weber, ils permettent une régulation abstraite et formalisée du fonctionnement de structures sociales complexes. Le 2e argument s’inspire, sans en épouser les conclusions, d’analyses de Feinberg. Imaginons une société dans laquelle les individus auraient des obligations (par ex. envers un supérieur, un souverain) mais pas de droits (ceux-ci étant, par souci de simplification, identifiés à la seule espèce des claim-rights au sens de Hohfeld). Dans une telle société, par exemple, un employé modèle, quel que soit son mérite, n’aurait aucun droit à percevoir une récompense (prime, promotion…), et si cela se faisait, ce serait de la part de son employeur une pure et simple libéralité. Le problème est qu’une telle société de ‘sans droits’ ne serait pas viable ; ou plutôt, elle ne le serait qu’à condition de supposer de la part de ses membres une vertu sans limites… Dit autrement : les droits – tous les droits, et pas seulement les libertés fondamentales, les droits de la  » première génération  » – sont ce qui permet de ne pas supposer tous les hommes vertueux : ils sont, comme la société elle-même, le produit de nos vices… Paradoxalement, c’est depuis que nous avons cessé de croire au  » rêve du droit naturel  » qu’il nous est devenu nécessaire de penser les acteurs sociaux comme des titulaires de droits, et de droits dont la liste n’est arrêtée par nulle autorité. Les droits sont des institutions sans lesquelles une société complexe ne saurait exister. Du même coup, le champ des réponses à la deuxième et à la troisième question se restreint. Comment avons-nous des droits ? Par le biais d’opérations que l’ontologie sociale (au sens défini par Searle) décrit comme des ‘déclarations de statut’ (status function declarations) et qui participent de la  » construction de la réalité sociale « . Quels droits avons-nous ? Ceux que définit le droit positif et ceux sans lesquels la possession des droits que m’attribue le droit positif serait impensable. On rejoint ici la thématique du droit d’avoir des droits esquissée par Kant, formulée par Arendt et subtilement mise en œuvre par Herbert Hart dans son article séminal  » Existe-t-il des droits naturels ? « .

Références

  • H. Arendt, Les origines du totalitarisme, partie II : L’impérialisme :  » Les embarras suscités par les droits de l’homme « , Gallimard (‘Quarto’), 2002, p. 591 sq.
  • R. Dworkin, Prendre les droits au sérieux, PUF, 1995.
  • J. Feinberg,  » The nature and value of rights « , Journal of Value Inquiry, 4-4 (1970).
  • J. Feinberg,  » In defense of moral rights  » (1991), in Feinberg, Problems at the roots of law, Oxford UP, 2003.
  • H. L. A.Hart,  » Existe-t-il des droits naturels ?  » (1955), in Klesis 21 (2011), en ligne.
  • W. N. Hohfeld, Fundamental legal conceptions as applied in judicial reasoning (1913-1919), Yale UP, 1964.
  • N. Luhmann,  » De la fonction des droits subjectifs’, Trivium 3 (2009), trivium.revues.org/3265
  • J. Searle, La construction de la réalité sociale, Gallimard, 1998.
  • J. Searle, Making the social world, Oxford UP, 2011, chap. 8.

Jean-François Kervégan est professeur à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, consulter ses pages web sur academia.edu, et sur le site de l’équipe de recherche Nosophi.

Conférence publiée, Bulletin 2015 109 4

Image (de la) critique (par Georges Didi-Huberman)

Georges Didi-Huberman

Conférence du 19 mars 2016 par Georges Didi-Huberman

Qu’il faille critiquer les images, cela va de soi pour toute une tradition philosophique qui entend, depuis Platon, séparer le bon grain de l’ivraie : la vérité de l’illusion, la réalité de l’apparence, etc. C’est aussi ce qu’un philosophe tel que Theodor W. Adorno n’aura pas manqué de revendiquer en reprenant à son compte la notion de critique héritée des Lumières et en l’appliquant, notamment, aux productions culturelles dont les images font généralement partie. Un tel héritage critique nous est évidemment précieux, à condition toutefois de ne pas confondre la critique avec l’anathème, qui est volonté d’ignorance. À condition, surtout, de comprendre que l’opération critique elle-même — séparer le bon grain de l’ivraie — ne va pas de soi et ne discrimine pas toujours de façon aussi « claire et distincte » qu’on le voudrait. On ira ici jusqu’à proposer l’hypothèse que les images elles-mêmes, en certains cas, sont riches de possibilités critiques, et peuvent même se constituer en gestes critiques bien au-delà de la partition canonique entre illusion et vérité.

Georges Didi-Huberman, philosophe et historien de l’art, enseigne à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris). Il a publié une cinquantaine d’ouvrages sur l’histoire et la théorie des images. Voir la page sur le site de l’EHESS.

Conférence publiée, Bulletin 2016 110 2

La philosophie politique : du critère de la justice au projet de la liberté (par Pierre Manent)

Conférence du 23 janvier 2016, par Pierre Manent

ManentP04RedimLa philosophie politique s’est constituée comme une interrogation sur la justice, culminant dans la recherche du « meilleur régime ». Cette interrogation « naturelle » a reçu une inflexion décisive lorsque les Modernes ont formé le projet inédit de résoudre une fois pour toutes la question de la justice en concevant le meilleur régime non comme le régime le plus juste mais comme le régime le plus libre. On s’interrogera sur les suites politiques et spirituelles de cette décision.

Pierre Manent est directeur de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales. Voir sa page web sur le site du Centre de recherches CESPRA de l’EHESS.

Conférence publiée Bulletin 2016 110 1

L’instrument de musique à l’intersection de l’art et de la technique (par Bernard Sève)

Conférence du 30 mai 2015, par Bernard Sève

Bernard SèveLa musique est le seul art, remarque Hegel, qui doive produire son matériau (le son musical, qui n’est pas le son du monde) ; elle doit donc préalablement fabriquer des objets destinés à produire ce matériau. Ce sont les instruments de musique, qui n’ont aucun équivalent ou correspondant dans les autres arts. Condition de la musique, l’instrument n’est pourtant pas une œuvre d’art au sens complet de cette notion (encore que sa beauté plastique ne soit pas réductible à une ornementation de surface) ; le luthier, qui le fabrique, n’est pas considéré comme un artiste de plein droit, quoique sans lui la musique n’existerait pas (l’objection de la musique a cappella n’est pas ignorée). L’instrument de musique est pleinement un objet technique, mais il est difficile à classer selon les distinctions d’Aristote ou de Simondon. L’instrument de musique est en effet fonctionnellement sous-déterminé, ce qui est un des éléments d’explication du nombre prodigieux d’instruments inventés et fabriqués par l’humanité (le Grove Dictionary of Musical Instruments recense 12.000 types d’instruments, alors même qu’il ne prend pas en compte les instruments  » monstrueux  » ou inutilisés). À l’intersection de l’histoire des arts et de l’histoire des techniques, l’instrument de musique offre un point d’appui empirique et conceptuel remarquable pour problématiser les ressorts de l’invention artistique et technique, non moins que pour articuler les logiques divergentes de ces deux formes d’histoire.

Bernard Sève est professeur à l’université Charles de Gaulle Lille 3.

Conférence publiée, Bulletin 2015 109 3

Descartes : l’expérience et la raison (par Mariafranca Spallanzani)

Conférence du 21 mars 2015, par Mariafranca Spallanzani

« Je ne mettrai rien dont l’expérience et la raison ne m’aient rendu certain »
Epître à la Sérénissime Princesse Elisabeth

Mariafranca Spallanzani
Mariafranca Spallanzani

1.Paradoxe. Peut-on examiner la philosophie de Descartes sub specie experientiæ ? Peut-on relire sa philosophie au fil de l’expérience ? L’entreprise a tout l’air d’un paradoxe : la philosophie de Descartes a été interprétée dans la tradition comme une philosophie a priori et comme un système agencé selon l’ordre des raisons plutôt que selon les données de l’expérience. Pourtant certaines voix de la tradition et d’autres, plus contemporaines, n’ont pas manqué de souligner l’importance de cette notion, dont elles ont examiné la richesse thématique et la plasticité théorique. Rappelons la tentative d’Octave Hamelin, qui avait souligné au sein de la philosophie de Descartes la présence et l’importance de l’expérience, « une expérience bien définie » qui porte sur des notions distinctes et qui se configure comme « une espèce d’intuition »1 ; rappelons l’interprétation de Robert Lenoble qui avait parlé d’un  » réalisme empirique  » de Descartes subordonné à des conditions contrôlables dans l’ordre du savoir2. Evoquons enfin la thèse de Jean Laporte, qui était allé jusqu’à présenter la philosophie de Descartes comme  » un empirisme radical et intégral  »3. Quant aux interprètes plus récents, certains n’ont pas hésité à faire de la notion d’expérience la notion centrale de la philosophie et de la science cartésiennes. Citons, sans souci d’exhaustivité, les noms de Desmond Clarke, Daniel Garber, Nicolas Grimaldi, Amelie Oxenberg Rorty, David Dennis, S. Werret, Alberto Pala, Vincent Aucante, Pierre Guenancia, Denis Kambouchner, Sophie Roux, Frédéric de Buzon, Christopher Braiden, Odette Barbero.

2. Empirisme et rationalisme Enfin, tout se passe comme si la notion d’expérience chez Descartes permettait de reformuler les distinctions philosophiques traditionnelles : celles qui opposent empirisme, rationalisme et éclectisme. Or ces notions, Victor Cousin les avait forgées à partir de la philosophie de Descartes, autorisé, d’une certaine façon, par certaines de ses affirmations qui avaient posé un divorce irréductible entre raison est expérience, consacrant la primauté de la connaissance intellectuelle, établie a priori au-delà de tout doute raisonnable.

3. Aporie ? Certes, chez Descartes la philosophie première fondée sur l’évidence intellectuelle est une instance de fondation ; certes, le modèle mécaniste de l’univers structuré selon des chaînes de déductions ne s’impose pas comme un fait, mais comme une explication des faits ; certes, la conception du corps-machine dérive de l’assomption d’un dualisme fonctionnel fondé sur les idées claires d’étendue et d’âme. Et pourtant une lecture des textes cartésiens qui suit l’exercice de la raison plus que l’ordre déductif des raisons ne saurait refuser les prérogatives de l’expérience. Dans la métaphysique, qui est une expérience performative de la vérité, l’expérience de la présence de l’idée claire et simple ne coïncide-t-elle pas avec la chose elle-même ? Dans la connaissance scientifique, l’expérience de certitude n’est-elle pas l’instrument de validation du modèle hypothétique ? C’est par la seule expérience, et non « par la force du raisonnement » que Descartes pense son établissement. La morale ne renvoie-t-elle pas elle aussi à l’expérience certaine de l’illimitation de la liberté ? L’anthropologie ne nous octroie-t-elle pas « l’expérience très évidente » de l’union d’âme et de corps dans l’homme ? Et enfin n’est-ce pas une expérience de pensée qui permet à Descartes de formuler les hypothèses métaphysiques des doutes hyperboliques sur l’origine et le statut de la raison humaine, le Dieu trompeur et le génie malin ? Ce sont bien sûr ces expériences paradoxales mais « inéluctables » de la philosophie moderne que se joue la conquête d’autonomie philosophique de la raison par la mise en question de son origine4.

Mariafranca Spallanzani est professeur associé à l’université de Bologne. Page web.

Conférence publiée, Bulletin 2015 109 2

  1. O. Hamelin, Le système de Descartes, Paris, Alcan, 1911. []
  2. R. Lenoble, Mersenne, ou la naissance du mécanisme, Paris, Vrin, 1943. []
  3. J. Laporte, Le rationalisme de Descartes, Paris, PUF, 1945. []
  4. H. Blumenberg, Die Legitimität des Neuzeit, Frankfurt/Main, Suhrkamp, 1988 (1966, 1974 ; trad. fr. La Légitimité des Temps modernes, Paris, Gallimard, 1999). []

Les questions de la vivisection au XVIIIe siècle (par François Delaporte)

Conférence du 24 janvier 2015, par François Delaporte

François Delaporte
François Delaporte

Sur un versant, la critique du système pénal a permis l’apparition de la vivisection animale dans le champ de la perception sociale. Il suffit de voir le corps du condamné dans la bête sacrifiée pour que l’on prête un tel pouvoir d’évocation aux expériences vivisectrices. Sur un autre versant, quelques philosophes ont proposé un programme audacieux : étendre les vivisections aux criminels. Cette idée fut largement divulguée dans l‘Encyclopédie. Que l’aversion pour la vivisection animale exprime l’horreur du châtiment sans que l’on soit pour autant hostile aux vivisections humaines, c’est le paradoxe qu’il faudra dissiper.

Bulletin 2015 109 1

Cité naturelle et cité juste dans La République de Platon (par Michel Narcy)

Conférence du 22 novembre 2014, par Michel Narcy.

Michel Narcy
Michel Narcy

Ce n’est qu’à partir du livre II que La République de Platon mérite son titre. Requis par Glaucon et Adimante, les deux demi-frères de Platon, de fonder la démonstration de la supériorité de la justice sur l’essence de celle-ci, et non sur les avantages qui pourraient lui être attachés, Socrate déplace le problème, de l’âme, à la cité, au motif que la différence d’échelle rend la justice plus lisible dans la cité. À l’inverse de Rousseau qui, plus tard, cherchera dans la constitution des premières sociétés l’origine de l’inégalité, c’est donc dans la façon dont se constitue une cité que Socrate va montrer comment y survient la justice. Rien d’étonnant à cela : la cité est à ses yeux connaturelle à l’homme. Nul n’étant capable de satisfaire seul la pluralité de ses besoins, la vie de chacun dépend du concours d’autrui, d’où la nécessité de l’association, heureusement favorisée par la nature qui, diversifiant ses dons à l’égal des besoins, rend l’un apte à telle tâche, l’autre à telle autre. C’est donc du règne des besoins que découle pour l’homme la vie en société, et de l’inventaire de ces besoins que Socrate déduit la formation d’une cité vouée à leur satisfaction, sans plus : une fois assuré le strict nécessaire, nourriture, habitat, vêtement, le tout sous la forme la plus simple, Socrate tient sa construction pour achevée. À cette simplicité déductive, Glaucon oppose les faits : la cité dans laquelle nous vivons n’est pas celle-là, mais une cité où l’on dort dans des lits, où l’on s’assied à table pour goûter des plats cuisinés, des friandises, etc. Pour le dire en termes plus modernes, si, à l’état de nature, la société humaine est telle que la dépeint Socrate, nous en sommes bien éloignés. Fût-elle cependant dénaturée, c’est dans la société qui est la nôtre qu’il importe de savoir ce qu’est la justice, pas dans une société dont on ne trouve pas trace. C’est de cette objection de Glaucon que prend son élan la construction par Socrate de ce qu’on tient pour la cité idéale de Platon. Il convient de noter cependant que Socrate ne s’engage pas dans cette entreprise sans avoir réitéré sa conviction que  » la vraie cité « , c’est celle qu’il a décrite,  » en tant précisément qu’elle est en bonne santé « . Par contraste, la cité dont veut entendre parler Glaucon, à savoir la nôtre, est une cité  » enfiévrée « , malade. Où il apparaît que le vrai sujet de La République, s’il est d’exposer les moyens d’instaurer la justice dans cette cité malade, est en réalité de la guérir. Mais la guérir n’est pas la ramener à l’état initial, l’état de nature, décrit par Socrate. En effet, ce n’est pas en en retranchant tout ce qui s’est ajouté à cet état initial qu’on la guérira, mais au contraire en lui ajoutant des éléments absents de la première cité : les gardiens et, sélectionnés parmi eux, les philosophes chargés de gouverner. En d’autres termes, le traitement recommandé par Socrate, ce n’est pas l’administration de purgatifs qui délivreraient la cité de ses humeurs malsaines, mais la pose de prothèses, dont la fabrication – je veux dire l’éducation des gardiens et des philosophes -, va constituer l’essentiel du propos à venir. D’où il ressort qu’ainsi appareillée, la cité juste ne présentera guère de ressemblance avec la cité naturelle dont elle est cependant supposée retrouver la santé. Une fois mise en lumière cette artificialité de la cité juste, on s’interrogera sur ce qu’on peut en conclure, d’une part sur le programme, si c’en est un, proposé par Platon, d’autre part sur la correspondance initialement invoquée par Socrate entre l’âme individuelle et la cité.
Michel Narcy est directeur de recherche émérite au CNRS (UPR76 Centre Jean Pépin, Villejuif)

Conférence publiée, Bulletin 2014 108 4.

La vie subalterne (par Guillaume Le Blanc)

Conférence du 24 mai 2014 par Guillaume Le Blanc

Prenant appui sur les études subalternes dont je voudrais mesurer l’apport à l’intérieur de la théorie critique contemporaine, en en circonscrivant la portée, je souhaiterais m’interroger sur la possibilité théorique d’un déplacement, offert dans le champ même des études subalternes, de la question coloniale à laquelle sont arrimées de telles études vers la question sociale. L’évaluation de la portée de ce déplacement (ainsi que la possibilité d’un va-et-vient entre ces deux questions) sera l’enjeu de ma conférence. Une nouvelle orientation en philosophie peut en résulter, s’attachant à rendre raison des vies ordinaires depuis leur propre difficulté à prendre la voix ou à être entendues. Cette difficulté à redonner voix aux sans-voix a été particulièrement mise en avant, dans l’argumentaire critique colonial, par la théoricienne Gayatri Chakravorty Spivak, sous le titre Les subalternes peuvent-elles parler? (1988). Critiquant les apports de la nouvelle théorie de l’intellectuel telle que formulée par Foucault ou par Deleuze, elle réfute l’argument politique et éthique de la nécessité de parler au nom des autres et nous rend attentifs, par contraste, au fait que la voix qui prétend parler à la place de quelqu’un finit par remplacer la voix qu’elle est censée représenter. Cette perspective, pour intéressante qu’elle soit, risque d’oblitérer l’argumentaire social initial de la subalternité, défini par Gramsci, comme expérience de relégation et d’infériorisation, portant sur l’histoire des  » groupes sociaux subalternes  » (Cahiers de prison, cahier 25). Concevoir la subalternité comme épreuve sociale et non plus simplement raciale, en considérant la subalternité comme l’état de toute personne dont l’action et la voix ne sont pas appréhendées, c’est alors s’attacher à l’analyse des conditions sociales qui font et défont les vies ordinaires. La désignation de la vie comme vie subalterne (et il faudra se demander qui désigne certaines vies de la sorte) peut ainsi renvoyer, dans les limites du transfert évoqué précédemment, aux différentes épreuves de fragilisation sociale des vies. Précarité, exclusion, invisibilité sociale peuvent dès lors être interprétées comme autant de foyers d’engendrement de la subalternité dans les limites d’une philosophie sociale dont le projet de refondation de l’idée même de philosophie sera alors examiné dans le contexte élargi, fourni par l’argument de la subalternité, d’une volonté de philosopher par en bas. C’est ainsi vers la formulation d’une basse philosophie que s’acheminera l’analyse.

Guillaume Le Blanc est professeur à l’université Michel de Montaigne – Bordeaux 3.

Conférence publiée, Bulletin 2014 108 3.

La place de l’imagination dans l’interprétation du langage (par Eléonore Le Jallé)

Conférence du 22 mars 2014 par Eléonore Le Jallé 

Eléonore Le Jallé
Eléonore Le Jallé

L’objet de ma conférence sera de révéler la place de l’imagination dans l’interprétation du langage en m’appuyant sur les travaux du philosophe Donald Davidson, puis en discutant la manière dont, chez cet auteur, cette mise en évidence s’accompagne d’une critique de l’existence de conventions dans le langage, une existence que j’entends, au contraire, conserver. Dans un premier temps, je voudrais donc soutenir l’idée que la communication langagière fait appel à l’imagination en partant des données suivantes, inspirées de Davidson : a) lorsque je parle et veux être comprise j’émets souvent, outre mes énoncés ou au cœur de mes énoncés, des indices à destination de mon auditeur sur le sens de mes paroles ; b) l’auditeur pour m’interpréter tient compte de ces indices et ajuste sa théorie interprétative préalable en conséquence. Or chez Davidson, cette découverte du rôle de l’imagination inventive dans la communication s’accompagne (et constitue une preuve) de la non-conformité du locuteur et de l’auditeur à des conventions linguistiques. Ceci semble supposer que 1) suivre l’imagination, c’est ne pas suivre de règles ; 2) suivre une convention n’implique ni ajustement inventif ni imagination, mais suppose toujours la conformation à une règle donnée d’avance. Je voudrais défendre au contraire que 1°) l’imagination est réglée (par l’association des idées), de sorte que la convergence des imaginations du locuteur et de l’auditeur n’est possible que parce qu’il existe de tels principes communs ; 2°) l’idée d’ajustement perpétuel n’est pas en fait étrangère à l’idée de convention, et la  » saillance  » (c’est-à-dire l’existence de  » points focaux  » frappant l’imagination) peut constituer l’une des sources de cet ajustement. Si cela est vrai, on peut alors défendre en même temps la place de l’imagination dans la communication langagière et saisir sous l’idée de convention le phénomène repéré par Davidson, à savoir la convergence se faisant (et non pas à l’avance) entre la manière dont un locuteur veut être interprété et celle dont son auditeur, sur la base d’indices, l’interprète : une convergence qui fait appel à l’imagination.

Eléonore Le Jallé est maître de conférences (HDR) à l’université Charles de Gaulle-Lille3. Voir sa page websur le site du laboratoire Savoirs Textes Langages.

Conférence publiée, Bulletin 2014 108 1.

Pour introduire en philosophie le concept de stridence (par Michèle Cohen-Halimi)

Conférence du 25 janvier 2014 par Michèle Cohen-Halimi

Le concept de stridence (emprunté aux Voix du silence de Malraux) sert à définir une nouvelle méthode d’écriture de l’histoire de la philosophie. Cette méthode, comme il est de rigueur, a surgi a parte post, à partir d’une étude approfondie de la non-réception française de la métaphysique d’Adorno – non-réception qui excède ce que Foucault parlant de Cassirer a pu nommer  » le système présent (solide, consistant, bien protégé) de nos petites ignorances françaises  » (DE I, 545). Ce n’est pas de cette étude qu’il sera question, mais de la méthode dont elle a permis l’invention. Cette méthode part d’un constat négatif : les historiens de la philosophie restent trop souvent débiteurs de ce dont ils prétendent s’émanciper, les motivations individuelles des auteurs, les accidents biographiques et toutes les figures subjectives et contingentes d’une prétendue autonomie de la pensée, qui empiègent l’analyse des œuvres dans les schèmes de la causa sui et du fondement du savoir. Il s’agira par contraste de s’émanciper résolument des concepts malheureux d’intention et de rationalité autonome. La méthode de la stridence se donne pour point focal un conflit doctrinal entre deux philosophes, conflit dont elle s’assure qu’il a eu des effets d’après-coup et dont elle dessine le premier périmètre spatio-temporel pour suivre ensuite par perspective transversale les effets de thèse et les bougés conceptuels qu’il provoque dans les œuvres des deux philosophes. Plutôt qu’un antagonisme on étudie l’agonisme et la rétivité essentiels de la pensée, on porte au jour les limites nouvelles du dit et du non-dit qui ne préexistent jamais à la partition qui les définit, on montre les pensées penser par provocations, différenciations mutuelles et déplacements successifs depuis une nappe non cachée mais invisible de discours et de mots, d’énoncés et d’affirmations dont il s’agit de démontrer le rapport d’entre-écoute, c’est-à-dire de stridence. Cette méthode ambitionne donc de reconstruire une rationalité a-subjective et événementielle de l’histoire philosophique.

Michèle Cohen-Halimi est Maître de conférences, habilitée à diriger les recherches, à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense (Paris X).

Bulletin 2013 107 4.

L’Encyclopédie et nous

Demi-journée d’étude du 12 octobre 2013

Avec F. Markovits, B. Bourgeois, A. Cohen, M. Parmentier, B. Saint-Sernin

1 – Conférences :

  • Francine Markovits (professeur émérite Paris Ouest Nanterre La Défense, directrice de la revueCorpus) : L‘Encyclopédie : doctrine ou débats ?
  • Bernard Bourgeois (professeur émérite Paris I, membre de l’Institut, président d’honneur de la Société française de philosophie) : L’Encyclopédie hégélienne et son actualité

 

2 – Table ronde, avec :

  • Arthur Cohen (philosophe, directeur des Editions Hermann) : Éditer l‘Encyclopédie aujourd’hui
  • Marc Parmentier (maître de conférences habilité à l’univ. Lille 3) : Wikipédia : une communauté d’encyclopédistes ?
  • Bertrand Saint-Sernin (professeur émérite Paris IV, membre de l’Institut) : Un siècle après l‘Encyclopédie de Diderot: Cournot.

Journée publiée dans le Bulletin de la Société française de philosophie, 2014 108 2.