Conférence du 17 mars 2018 par Claudine Tiercelin, professeur au Collège de France, membre de l’Institut
L’essentialisme a généralement mauvaise presse : quand ce n’est pas pour des raisons purement idéologiques, on l’associe le plus souvent à un aristotélisme substantialiste dépassé, à une époque révolue où la métaphysique était considérée comme la reine des sciences, ou encore à une attitude foncièrement hostile à la science et peu soucieuse des découvertes, notamment, de la biologie ou de l’anthropologie.
Pourtant, la fin du XXe siècle aura aussi été marquée par le regain conjoint de la métaphysique et de l’essentialisme, ce dernier prenant des formes aussi nouvelles que diverses, tant en métaphysique qu’en philosophie des sciences.
Après quelques rappels sur cette histoire récente, on reviendra sur ce qui est au cœur des concepts d’essence et d’essentialisme, sur les problèmes qu’ils posent depuis toujours au philosophe, et l’on montrera pourquoi et comment il est non seulement possible mais nécessaire de défendre une forme d’essentialisme étroit (ou « aliquidditisme ») selon une conception foncièrement dispositionnelle et non plus substantielle ou modale de l’essence, conformément à l’attitude scientifique et réaliste que l’on aimerait recommander en métaphysique.
Conférence du 20 janvier 2018 parGeorges-Arthur Goldschmidt
Goethe se trompait rarement sur l’essentiel, pour preuve, il a d’emblée su reconnaître l’importance première de Karl Philipp Moritz (1756-1793), l’un des prédécesseurs méconnus de la psychanalyse. Dans sa revue Magazin zur Erfahrungseelenkunde (Magazine de psychologie par l’expérience, exactement de connaissance de l’âme), Moritz publie, c’est peut-être l’une des premières fois en Europe, en 1791 les descriptions objectives et explicatives de divers
troubles mentaux, la confession d’un étudiant homosexuel, le cas d’un paranoïaque, puis dans la même revue l’autobiographie d’un des premiers intellectuels juifs de langue allemande, Salomon Maïmon et surtout de nombreux cas cliniques présentés de façon très moderne.
Mais Moritz fut surtout l’auteur de l’admirable Anton Reiser, en fait l’autobiographie de Moritz lui-même magnifiquement traduit en français par Georges Pauline (Arthème Fayard). Après plus d’un siècle d’oubli, il doit sa redécouverte au grand germaniste français Robert Minder. Anton Reiser, le plus puissant des romans de formation du XVIIIe siècle allemand, on y voit un enfant se « construire » lui-même à travers la détresse, les humiliations et la misère. Il découvre les moyens de sa propre liberté à partir du piétisme dont il retient surtout le pouvoir d’auto-analyse pour arriver par ses propres moyens à la liberté de pensée telle que la concevait Kant dans son célèbre texte. Très proche de Rousseau, qu’il a bien entendu lu, il le prolonge par le travail d’auto-investigation objectif. Il fait de la subjectivité et de son analyse dans ses manifestations de la honte et de la dénégation de soi des dimensions existentielles. La précision, l’intensité et la nouveauté de la pensée de Moritz auraient pu orienter tout autrement la philosophie allemande et la rendre habitée. Fichte avait commencé à tracer cette voie mais qu’il rend totalement anonyme sous la forme d’un Ich mué en Es politique dont l’aboutissement, comme l’avait prévu Heinrich Heine dans « Religion et philosophie en Allemagne », sera l’intégration par Heidegger de la philosophie dans le crime absolu national-socialiste.
À l’issue de la réunion du Bureau du 11 janvier 2018, le Président et le Bureau de la Société française de philosophie ont fait part de leur incompréhension et de leurs regrets après l’organisation récente, sur la base de dossiers exclusivement en anglais, du concours national des Ecoles Universitaires de Recherche, alors que le français est la langue de la République.
Dans la mesure où le français demeure une langue internationale dans la recherche, la constitution d’équipes d’experts internationaux francophones, ou capables de travailler en français pour évaluer les dossiers, est tout à fait possible et ne devrait pas être de facto écartée au profit de l’usage d’une langue étrangère comme langue administrative.
« S’assimiler à Dieu dans la mesure du possible » (Théétète 176 b) : un impératif platonicien dans son interprétation en philosophie islamique
Conférence du 18 novembre 2017 par Christian Jambet
Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Salle 1
Rien n’est plus récurrent que le motif de l’assimilation à Dieu, lorsque les philosophes de l’islam déterminent quelle est la finalité de l’amour de la sagesse. Expressément légitimé par la référence au « divin Platon » considéré comme le « guide des philosophes », ce motif est lié à la thématique de l’évasion loin du monde inférieur. Il est inévitablement placé dans une perspective où l’unification avec le Principe divin doit faire face aux données
élémentaires de la religion de l’islam, ce qui en modifie considérablement la nature et la portée. Unification, assimilation, ressemblance entre l’homme parfait, idéal de la philosophie et son modèle divin, ascension et purification éthique, préparant la complète réalisation du bonheur par la science et la connaissance divine, telles sont les thématiques par lesquelles est pensée la seule forme de libération de l’homme hors de sa condition servile. Nous présenterons quelques-uns des aspects de cette configuration de la philosophie islamique, en nous appuyant principalement sur les œuvres de deux philosophes majeurs, le sunnite Shihâb al-Dîn Yahyâ Sohravardî (m. 1191) et le shî’ite Mullâ Sadrâ Shîrâzî (m. 1640).
Christian Jambet est Directeur d’études
à l’École pratique des Hautes Études (Section des sciences religieuses), chaire : Philosophie en islam.
Séance du 18 mars 2017
Exposé : Isabelle Thomas-Fogiel
Discussion : Bernard Bourgeois, Georges Chapouthier, Michèle Cohen-Halimi, Didier Deleule, Catherine Kintzler, Michel Malherbe, Joël Wilfert, Yves Charles Zarka.
Voir le résumé et la photo à la rubrique Conférences.
Edité par Vrin
Séance du 21 janvier 2017
Exposé : Elhanan Yakira
suivi de : Elhanan Yakira et la « cause de la philosophie » par Edith Fuchs
Discussion : Philippe Casadebaig, Georges Chapouthier, Sylvie Coirault-Neuburger, Didier Deleule, Denis Kambouchner, Claudine Wilfert, Yves Charles Zarka.
Voir le résumé et la photo à la rubrique Conférences.
Edité par Vrin.
C’est avec une grande émotion que nous apprenons le décès de Robert Damien, survenu le 26 octobre 2017.
En 2014 la Bibliothèque nationale lui a consacré une journée d’étude récemment publiée, centrée sur le concept d’autorité que son œuvre parcourt en l’articulant à la « matrice bibliothécaire », depuis Bibliothèque et État. Naissance d’une raison politique dans la France du XVIIe siècle (PUF, 1995) jusqu’à l’ouvrage magistral de 2013 Eloge de l’autorité. Généalogie d’une (dé)raison politique (Armand colin), en passant par La grâce de l’auteur, essai sur la représentation d’une institution politique : l’exemple de la bibliothèque publique (Encre marine, 2001), et Le conseiller du Prince de Machiavel à nos jours (PUF, 2003).
Robert Damien fut rugbyman et entraîneur de l’équipe de rugby de Lons-le-Saunier. Il a toujours conservé dans tous les aspects de son activité les manières d’un gentleman pour lequel la force est une grâce qui se cultive et dont il faut être digne. Sa réflexion a abordé des domaines multiples dont on peut se faire une idée en consultant la liste des nombreux articles accessibles sur le site Cairn.
Dans un bel article en ligne sur Le Carnet du Sophiapol, Philippe Combessie lui rend hommage et parle justement de cet « inimitable mélange de bienveillance et d’exigence envers autrui qui le caractérisait ».
18 novembre 2017 : Christian Jambet » ‘S’assimiler à Dieu dans la mesure du possible’ (Théétète 176 b) : un impératif platonicien dans son interprétation en philosophie islamique ». Voir l’argument et la photo.
20 janvier 2018 : Georges-Arthur Goldschmidt « Un humanisme inabouti. Une piste perdue,…. le repérage de la conscience de soi en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle (Karl-Phlipp Moritz) et son effacement ». Voir l’argument et la photo.
Conférence du 3 juin 2017, Sorbonne, amphithéâtre Edgar Quinet
par Jean-François Balaudé
La réflexion que je propose sur l’endurance humaine se situe au croisement de plusieurs perspectives.
La première procède de travaux récents de paléoanthropologues. Dennis Bramble et Daniel Lieberman ont les premiers mis en évidence1 qu’un facteur décisif d’évolution de l’homo a tenu, à partir de la station debout de l’homo erectus, et d’une série d’adaptations musculo-squelettiques et métaboliques (glandes sudoripares), à sa capacité à développer, d’une façon qui n’avait pas d’équivalent chez les animaux terrestres, l’aptitude à la course d’endurance longue. Il est ce faisant devenu un prédateur d’un genre nouveau, développant une chasse dite à l’épuisement, et cette pratique a conduit, en un processus étalé sur plusieurs centaines de milliers d’années, à des évolutions physiologiques et intellectuelles décisives.
La deuxième s’appuie sur l’observation de pratiques contemporaines doublée d’expériences personnelles. Sans sous-estimer les problèmes de santé publique que constituent des modes de vie très sédentaires caractéristiques de certains milieux sociaux en particulier, l’on peut avancer que les pratiques d’activité physique et sportive tendent à se développer, au-delà du simple souci de l’hygiène de vie et de l’entretien physique. Un certain engouement de masse pour les pratiques sportives apparaît en effet désormais comme une donnée anthropologique contemporaine remarquable. Depuis les années 70, c’est un mouvement continu de développement des sports d’extérieur et des pratiques d’endurance que l’on peut observer, dans des formes très diverses : cyclisme, course à pied, randonnées, trails, raids… Ces tout derniers temps, ce sont même des formats extrêmes (ultra-marathon, ultratrail…) qui sont apparus, donnant naissance à une multitude d’épreuves de très grande difficulté rassemblant à chaque fois des milliers de participants.
Ces activités sont peut-être socialement déterminées, mais leur développement, dans presque tous les milieux, leur persistance et l’engouement qu’elles suscitent, se laissent difficilement expliquer par le simple supposé culte de la performance.
L’interprétation de ces pratiques que j’ai eu l’occasion d’esquisser dans un article paru en 20082 conduit à soutenir que des formes d’expérience individuelle sans équivalent s’y éprouvent, comportant une véritable dimension spirituelle. Peut-être un besoin physiologique essentiel affleure-t-il ici, peut-être des formes cruciales de connaissance, de soi, du monde, s’y révèlent-elles également.
Je voudrais dans cette perspective avancer l’hypothèse que le concept d’endurance est crucial pour tenter de cerner à la fois ce besoin, cette expérience et ce qui constitue en définitive notre humanité. Indurare signifie en latin impérial endurcir son corps ou son esprit, et en latin classique durcir, au même titre que durare. Mais le même durare signifie aussi avoir une durée, durer (cf. dudum, et dum). Les deux sens de durare, durer, durcir, se sont trouvés en latin étroitement liés dès le départ.
Endurer marque en somme une capacité à soutenir un effort, à résister à une souffrance, dans une durée tenue, voulue : je suppose qu’il ne peut y avoir proprement d’endurance sans une conscience de la durée qui sous-tend cette capacité, et rend possible son déploiement.
La capacité d’endurer serait ainsi étroitement liée à cette « continuité de la vie intérieure » dont parle Bergson, et qui selon lui distingue à jamais l’homme de l’animal.
Dans et par l’endurance serait né l’homme. Par sa capacité à endurer, aussi bien aux plans physique que psychologique et moral, l’homme manifeste son humanité, et en déroule indéfiniment les potentialités.
1 L’article fondateur est : « Endurance running and the evolution of Homo » Nature, 2004, p. 345-352.
2 « Haute intensité. Une approche philosophique du cyclosport », in D. Moreau et P. Taranto (dir.), Activité physique et exercices spirituels. Essais de philosophie du sport, Vrin, 2008, p. 147-167.
Jean-François Balaudé est professeur à l’Université Paris-Nanterre, dont il assure actuellement la présidence.
Voir sa page web sur le site de l’université.
La Société française a rendu hommage à Jean-Marie Beyssade le 21 janvier 2017. Les textes sont téléchargeables sur ce site : cliquer ici.
Une journée d’hommage, organisée par le Centre d’Études Cartésiennes (Université de Paris-Sorbonne) et le Séminaire Descartes (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – École normale supérieure)
a lieu mercredi 7 juin 2017, de 9h00 à 18h30 Sorbonne, Amphi Descartes
Inscription préalable avant mardi 6 juin 16h : philo-recherche[at]univ-paris1.fr